Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/532

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pée calomnié pendant son absence. Je l’ai fait jusqu’ici autant que je l’ai pu, sans céder ni à notre amitié commune, ni à l’espoir de cette magistrature suprême que j’ai obtenue de vous, à sa grande satisfaction, mais en son absence. Comme je vois que la loi presque tout entière n’est qu’une machine dressée pour renverser le crédit de Pompée, je m’opposerai aux complots de ses ennemis, et j’en dévoilerai si clairement la trame que vous croirez non seulement l’avoir sous vos yeux, mais la toucher du doigt.

XIX. Rullus ordonne de vendre ce qui appartenait aux Attaliens, aux Phasélites, aux Olympiens, et de plus le territoire d’Agère, d’Orondes et de Géduse ; toutes possessions qui vous ont été acquises par la victoire et sous le commandement de l’illustre P. Servilius. Il y ajoute les domaines des rois de la Bithynie, que des fermiers publics font valoir maintenant ; puis les domaines d’Attale dans la Chersonèse ; dans la Macédoine, les anciennes possessions de Philippe ou de Persée, affermées par les censeurs, et qui sont de vos plus sûrs revenus. Il comprend aussi dans la vente les riches et fertiles campagnes de Corinthe et de Cyrène, qui appartenaient à Apion, de même que les campagnes situées auprès de Carthage la Neuve en Espagne ; et en Afrique, il vend encore l’ancienne Carthage, quoique Scipion l’Africain, de l’avis de son conseil, en ait consacré le sol, non par un respect religieux pour cette cité antique, mais afin que le lieu même fit voir à tous les yeux l’ineffaçable empreinte des désastres d’un peuple qui avait disputé à Rome l’empire du monde. Scipion ne fut pas aussi habile que Rullus, ou peut-être ne put-il pas trouver d’acquéreur de ces ruines. Enfin à tous ces domaines royaux conquis, dans les anciennes guerres par le courage de nos plus célèbres généraux, Rullus ajoute les domaines de Mithridate dans la Paphlagonie, dans le Pont et dans la Cappadoce ; le tout pour être vendu par les décemvirs. Quoi donc ! nous n’avons point encore imposé de lois à ces provinces ; nous n’avons point entendu le rapport de notre général ; la guerre n’est pas terminée ; Mithridate, sans armée et chassé de son royaume, médite encore, aux extrémités du monde, de nouvelles entreprises ; protégé par les Palus-Méotides, par d’étroits défilés, par la hauteur des montagnes, il résiste encore aux invincibles légions de Pompée ; Pompée lui-même poursuit toujours la guerre, dont le nom n’a pas cessé de remplir ces contrées ; et ces terres, dont Pompée, suivant l’usage de nos ancêtres, doit être l’absolu dispensateur, seront vendues par les décemvirs ! Et ce sera, je pense, Rullus (car il en use déjà comme s’il était nommé décemvir) qui, de préférence à tous, ira en personne présider à cette vente.

XX. Avant que d’arriver dans le Pont, il écrira sans doute à Pompée une lettre dont ils ont, j’imagine, déjà composé le modèle. « P. SERVILIUS RULLUS, TRIBUN DU PEUPLE, DÉCEMVIR, à C. POMPÉE, FILS DE CNÉIUS, SALUT. » Je suppose qu’il omettra le titre de GRAND, car il n’est pas vraisemblable qu’il lui donne en parole un titre que sa loi tend à lui ôter en fait. JE VOUS FAIS SAVOIR QUE VOUS AYEZ À VOUS RENDRE INCESSAMMENT PRÈS DE MOI, À SINOPE, ET QUE VOUS AMENIEZ DES TROUPES SUFFISANTES, TANDIS QUE JE VENDRAI, EN VERTU DE MA LOI, LES TERRES QUE VOUS AVEZ CONQUISES PAR VOS ARMES. » N’admettra-t-il pas Pompée à cette vente ? Vendra-t-il