Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/535

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honneur qu’on prétend lui faire ? ou cherche-t-on à le rendre odieux ?

XXIII. Pompée fait grâce à Rullus de cette attention ; il ne veut profiter en rien du bénéfice que la loi lui confère, ni des bontés des décemvirs. Car, s’il est juste que les généraux, au lieu de consacrer les dépouilles conquises à enrichir les temples des dieux, et à multiplier les embellissements de Rome, les apportent aux décemvirs, comme à leurs maîtres, Pompée ne désire en aucune façon le privilège de déroger à cette habitude ; il entend subir la loi commune. Si, au contraire, il est injuste, honteux, intolérable, que ces décemvirs soient établis les collecteurs de tout l’argent de tout le monde, et qu’ils mettent à rançon non seulement les rois et les peuples étrangers, mais encore nos généraux, il me semble, Romains, que ce n’est pas pour honorer Pompée qu’on l’excepte, mais parce qu’on appréhende qu’il ne soit pas d’humeur à partager l’humiliation des autres généraux. Cependant Pompée se fera toujours un devoir de souffrir ce qu’il vous aura plu de lui imposer ; mais ce qui vous paraîtra insupportable, il prendra soin que vous ne le supportiez pas trop longtemps malgré vous. Quoi qu’il en soit, Rullus prévoit que, « SI, APRÈS NOTRE CONSULAT, DE NOUVEAUX IMPÔTS RAPPORTENT QUELQUE ARGENT, CET ARGENT SERA MIS A LA DISPOSITION DES DÉCEMVIRS. » Or, il a pressenti que ces nouveaux impôts seront ceux que Pompée nous aura procurés. Ainsi, en abandonnant les dépouilles à Pompée, il se réserve la jouissance des produits plus solides des conquêtes de ce général. Les décemvirs étant donc possesseurs d’autant d’argent qu’il y en a sur la terre, sans en excepter un seul lieu ; ayant le droit de vendre les villes, les campagnes, les royaumes, vos revenus, et de grossir la masse énorme de leurs recettes des dépouilles faites par vos généraux, voyez, Romains, quelles vastes et scandaleuses richesses ils vont recueillir de ces ventes si considérables, de ces jugements sans nombre, de ce pouvoir sans limites.

XXIV. Apprenez maintenant quels sont les autres profits des décemvirs, profits immenses et odieux, lesquels vous aideront à comprendre que la popularité de ce nom de loi agraire est un leurre et sert avant tout à couvrir l’importune avarice de certains individus. Rullus veut qu’on emploie cet argent à acheter des terres où vous serez envoyés en colonies. Je n’ai pas coutume, Romains, d’apostropher durement les gens, à moins qu’ils ne m’attaquent. Je voudrais qu’il me fût possible de nommer, sans injures, ceux qui se flattent d’être décemvirs ; vous verriez dès à présent à quels hommes vous auriez donné le pouvoir de tout vendre et de tout acheter. Mais ce que je ne crois pas devoir dire encore, vous pouvez déjà facilement le deviner. Il est un fait du moins que je puis avancer et affirmer ; c’est qu’au temps où la république avait des citoyens tels que les Luscinus, les Catalinus, les Acidinus, tous également recommandables et par les honneurs dont le peuple les a revêtus, et par leurs exploits, et surtout par une pauvreté noblement endurée ; lorsque nous avions les Catons, les Philippus, les Lélius, dont vous connaissiez parfaitement la sagesse et la modération dans la vie privée, comme dans les affaires publiques, au forum comme dans l’intérieur de leurs fa-