Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/542

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fond en comble, de peur qu’elles ne se relevassent un jour, et ne pussent recouvrer leur ancienne splendeur.

On délibéra beaucoup et longtemps sur le sort de Capoue ; les archives de l’État, de nombreux sénatus-consultes, l’attestent. Nos sages ancêtres pensèrent que, s’ils ôtaient aux Campaniens leur territoire, s’ils abolissaient les magistratures, le sénat, le conseil public, s’ils ne laissaient pas même subsister l’ombre d’une république, nous n’aurions plus rien à craindre de Capoue. Aussi est-il expressément dit dans nos vieilles annales, que ce n’est qu’afin de conserver une ville capable de fournir les objets nécessaires à la culture, un lieu pour y transporter et garder les récoltes, pour y servir de demeures aux laboureurs fatigués des travaux des champs, que les maisons de Capoue n’ont pas été détruites.

XXXIII. Voyez quel intervalle immense entre la sagesse de nos ancêtres et la démence de ces hommes ! Les uns ont voulu que Capoue fût l’asile des laboureurs, le marché ouvert aux gens de la campagne, le dépôt des productions de la Campanie ; les autres chassent les laboureurs, dispersent les récoltes, font de cette même Capoue le siège d’une nouvelle république, et élèvent contre l’ancienne les remparts d’une rivale toute-puissante. Si nos ancêtres eussent prévu qu’il se trouverait un jour, dans ce grand empire, chez un peuple aussi admirablement discipliné que le peuple romain, un citoyen de la façon de M. Brutus ou de Rullus, les seuls qui paraissent vouloir encore transférer à Capoue notre république, certes ils eussent anéanti de cette ville jusqu’à son nom. Mais ils comprirent bien que, nonobstant l’abolition du sénat et de la magistrature à Corinthe et à Carthage, nonobstant les décrets qui enlèveraient leurs territoires aux habitants, il ne manquerait pas de gens pour restaurer et pour changer les choses avant que Rome en fût informée ; qu’ici au contraire, sous les yeux du peuple et du sénat, nulle tentative de ce genre ne pourrait avoir lieu qu’on ne la réprimât aussitôt ou qu’on n’en étouffât le germe. L’événement n’a point trompé la sage prévoyance de ces grands hommes. Car, depuis le consulat de Q. Fulvius et de Q. Fabius, sous lequel Capoue a été vaincue et prise, nul projet ne s’y est exécuté, ne s’y est même formé contre la république. Que de guerres n’avons-nous pas soutenues depuis, et contre les rois Philippe, Antiochus, Persée, et contre le faux Philippe, Aristonicus, Mithridate, et contre tant d’autres encore ! Ajoutez celles de Carthage, de Numance et de Corinthe, si multipliées et si graves. Je ne parle pas de nos fréquentes discordes intestines ; mais je citerai encore nos guerres avec les alliés, les Frégellans, les Marses, toutes les guerres, soit étrangères, soit domestiques pendant lesquelles Capoue, loin de nous nuire, s’est toujours montrée utile à la puissance romaine, en aidant nos préparatifs, en équipant nos troupes, en leur offrant des quartiers et des asiles. Personne alors, dans Rome, ne troublait la république par des discours incendiaires, par des sénatus-consultes séditieux, par des actes de pouvoir iniques ; personne ne cherchait des motifs de tout bouleverser, car personne n’avait la liberté de haranguer le peuple, de l’appeler à délibérer. Les citoyens n’étaient point emportés par un besoin effréné de gloire, parce que ce besoin n’existe pas là où le peuple n’a point