Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


DISCOURS POUR C. RABIRIUS,
ACCUSÉ DE HAUTE TRAHISON,
DEVANT LE PEUPLE ROMAIN.

DISCOURS DIX-HUITIÈME.


ARGUMENT.

L. Apuléius Saturninus, ancien questeur à Ostie, était devenu l’ennemi du sénat, depuis qu’on avait voulu l’exclure de ce corps, pour ses malversations et pour sa négligence dans l’exercice de ses fonctions. Il trouva, dans la protection de Marius, les moyens de satisfaire sa vengeance ; et devenu tribun, il servit efficacement la haine de ce dernier contre la noblesse, et particulièrement contre Métellus, le Numidique, qu’il fit exiler. Marius, abusant de l’autorité consulaire, fit obtenir à Saturninus un second tribunal, en faisant massacrer au milieu des comices, Nonius, un des candidats (652). Saturninus voulut par le même moyen assurer le consulat au préteur Servilius Glaucia, un de ses adhérents : il fit tuer Memmius, concurrent de ce dernier (653). Le sénat, indigné, rendit le décret réservé pour les temps de révolte, et ordonna aux consuls C. Marius et L. Valérius Flaccus de veiller au salut de la république. Marius était alors consul pour la sixième fois, et c’était avec l’aide de Saturninus qu’il était parvenu à cet honneur contre toutes les lois. Il se résigna sans peine à sévir contre un homme dont il ne pouvait plus espérer aucun service. Le sénat, les chevaliers et la plus notable partie des plébéiens prirent les armes et marchèrent à la suite des consuls contre les rebelles. Saturninus, repoussé du forum, s’empara du Capitole, et il essaya de s’y défendre avec Glaucia, Sauféius et Labiénus, les principaux de ses partisans. Marius les bloqua étroitement, et les réduisit par la soif, en faisant couper les conduits qui amenaient de l’eau dans cette forteresse. Saturninus envoya témoigner de son repentir au sénat. Les consuls l’engagèrent à quitter le Capitole, et à venir exposer ses prétentions suivant les formes prescrites par les lois ; il paraît même qu’une sauvegarde lui fut accordée. Saturninus y consentit ; mais à peine eut-il quitté le Capitole qu’il fut tué à coups de pierres, ainsi que Glaucia : Labiénus fut massacré.

Trente-six ans après, le tribun T. Attius Labiénus, neveu du précédent, accusa C. Rabirius de perduellion ou de crime de haute trahison, comme meurtrier de Saturninus. Il était excité par Jules César, que ses vues ambitieuses portaient à affaiblir l’autorité du sénat. Dans les causes de ce genre, on nommait ordinairement des duumvirs ou deux commissaires pour juger l’accusé. César était venu à bout, par ses intrigues, de se faire nommer conjointement avec L. César : il enfreignit même les lois ; car il fut choisi par le préteur, et non par le peuple, suivant l’ancien usage. Hortensius défendit Rabirius ; il prouva qu’il n’avait pas tué Saturninus ; que le meurtrier était un esclave qui, pour sa récompense, avait été affranchi. Il essaya ensuite de démontrer que jamais Rabirius n’avait promené dans les festins la tête de Saturninus, comme on le disait. Les duumvirs, malgré les preuves qu’alléguait son défenseur, condamnèrent Rabirius ; on suppose même que, d’après la loi de Tullus Hostilius, ils le condamnèrent au supplice des esclaves, au gibet et aux verges. La loi Porcia, il est vrai, défendait d’infliger la peine de mort, et surtout cette mort infamante, à un citoyen ; mais on trouvait toujours des prétextes pour l’éluder : on déclarait qu’un Romain rebelle perdait ses privilèges de citoyen, en se soulevant contre l’État. Rabirius, comme autrefois Horace, condamné par les duumvirs, en appela au peuple assemblé par centuries, et Cicéron, alors consul, entreprit de le défendre. César et Labiénus intriguèrent contre l’accusé. Il fut ordonné à son défenseur de ne pas employer plus d’une demi-heure à son plaidoyer ; et Labiénus s’efforça d’enflammer contre lui l’indignation du peuple, en exposant sur la tribune un portrait de Saturninus, qu’il représenta comme un martyr de la liberté publique.

Cicéron prononça ce discours l’année même de son consulat, à l’âge de quarante ans, l’an de Rome 690. On peut voir ce qu’il en dit lui-même, in Pison., c. 2 ; orat., c. 29. Dion Cassius nous apprend (XXXVII, 27) que toute l’éloquence du défenseur n’aurait pas empêché le peuple de confirmer le jugement des dumnvirs, si Metellus Celer, préteur et augure, qui s’aperçut de cette fâcheuse disposition, n’eût rompu l’assemblée des comices, sous prétexte que les auspices n’étaient pas favorables. On ne put recueillir les voix. Labiénus fut très-mécontent, mais il ne renouvela point l’accusation, et Rabirius ne fut plus inquiété. Il paraît qu’il dut cette sécurité à la conjuration de Catilina, qui occupa bientôt tous les esprits.

On regretta pendant longtemps la perte de la péroraison de ce discours : cette péroraison, retrouvée en 1820, à Rome, dans un manuscrit du Vatican, est un des meilleurs morceaux du discours.


I. Romains, je n’ai point coutume, dans les causes que je plaide, de commencer par rendre compte des motifs pour lesquels je m’en suis chargé. Car j’ai toujours pensé que les périls des citoyens leur donnent assez de droits à mon at-