Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/58

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daine ? Mallius au milieu des assassins ? Titus présent, et de ses propres mains plaçant sur un char cet autre Automédon, qui va porter la nouvelle de son horrible victoire ? Il le conjure de veiller la nuit entière, de travailler pour la gloire de son maître, et d’instruire Capiton le plus tôt qu’il sera possible.

Pourquoi veut-il que Capiton soit instruit le premier ? Je l’ignore. Je vois seulement que Capiton a été admis au partage ; je vois que trois des plus riches domaines sont devenus sa propriété. Je sais d’ailleurs que ce n’est pas la première fois que des soupçons de cette nature tombent sur Capiton ; qu’il s’est déjà signalé par plusieurs coups fameux, que cependant la palme doit être, adjugée à ce dernier exploit ; qu’il n’est aucune manière de tuer les gens qu’il n’ait mise plusieurs fois en usage ; qu’il a employé le fer contre les uns, le poison contre les autres. Je peux même citer un homme qu’au mépris des usages de nos ancêtres, il a précipité du haut du pont dans le Tibre, quoiqu’il n’eût pas soixante ans. Je dévoilerai ces faits, s’il paraît, ou plutôt quand il paraîtra ; car je sais que tel est son dessein. Qu’il vienne seulement ; qu’il déroule ce recueil volumineux dont je puis prouver que toutes les lignes ont été tracées par la main d’Erucius.On dit qu’il a menacé Sextus de déposer, sous la foi du serment, tous les faits qui s’y trouvent contenus. Admirable témoin ! autorité imposante ! O combien l’honnêteté d’un tel caractère doit obtenir la confiance et déterminer les suffrages du tribunal ! Certes, leurs crimes ne paraitraient pas dans un si grand jour, si la cupidité, l’avarice et l’audace ne les avaient pas aveuglés eux-mêmes.

XXXVI. L’un, à l’instant du meurtre, se hâte d’envoyer un courrier à son associé et à son maître. En vain chacun affecterait de méconnaître l’auteur du crime ; il se dénonce lui-même à tout l’univers. L’autre, grands dieux ! s’apprête à déposer même contre Sextus, comme s’il était question de juger si l’on doit croire ce qu’il aura dit, ou punir ce qu’il aura fait.

Chez nos ancêtres, les citoyens les plus respectables ne pouvaient être témoins dans leur propre cause, même pour les faits du plus léger intérêt. Scipion l’Africain, dont le surnom atteste qu’il a conquis une des trois parties du monde, n’aurait pas déposé dans une affaire qui lui aurait été personnelle. J’ose à peine le dire d’un si grand homme ; mais s’il l’avait fait, son témoignage n’aurait été d’aucune valeur. Oh ! que les temps sont changés ! et combien tout est dégénéré ! Il est question d’une spoliation et d’un meurtre ; et l’on entendra comme témoin le spoliateur et le meurtrier, c’est-à-dire celui qui est l’adjudicataire et le possesseur de ces mêmes biens dont il s’agit ici, et qui a fait égorger l’homme dont on poursuit les assassins.

Eh bien ! honnête Titus, qu’avez-vous à répondre ? Pesez toutes mes paroles, et tenez-vous sur vos gardes : cette affaire peut avoir des suites funestes. Vos crimes sont connus ; des faits sans nombre attestent votre audace et votre perversité ; mais ce qui prouve surtout l’absence de toute raison, c’est cette démarche qu’assurément Érucius n’a pas conseillée. Pourquoi paraître ici ? Un accusateur muet, un témoin qui se lève du banc