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CONTRE L. CATILINA, LIV. III.

les lettres, les cachets, l’écriture, l’aveu même de chacun des coupables. Mais j’en avais sous les yeux des indices encore plus certains, leur pâleur, leurs regards, l’altération de leur visage, leur morne silence. À voir leur consternation, leurs yeux baissés vers la terre, les regards furtifs qu’ils se lançaient mutuellement, ils semblaient moins des malheureux qu’on accuse, que des criminels qui se dénoncent eux-mêmes.

VI. Les pièces vérifiées et les déclarations entendues, j’ai consulté le sénat sur ce qu’il voulait ordonner pour le salut de la république. Les plus illustres sénateurs ont proposé des avis pleins de vigueur et de fermeté, auxquels l’ordre entier s’est rangé sans partage. Comme le sénatus-consulte n’est point encore rédigé par écrit, je vais, citoyens, vous en rapporter de mémoire les principales dispositions. D’abord, des remercîments me sont votés dans les termes les plus honorables, pour avoir, par mon courage, mes soins et ma prévoyance, sauvé l’État des plus grands périls. Ensuite les préteurs L. Flaccus et C. Pomtinus reçoivent de justes éloges pour le zèle et le dévouement avec lequel ils m’ont secondé. Mon collègue en reçoit également pour avoir su, dans sa conduite publique et privée, se dérober à l’influence des hommes qui ont formé cette conjuration. Le décret porte que Lentulus abdiquera d’abord la préture, puis sera détenu sous bonne garde ; il ordonne aussi la détention de Céthégus, celle de Statilius, de Gabinius, qui tous étaient présents ; de L. Cassius, qui avait sollicité l’odieuse commission d’incendier la ville ; de M. Céparius, chargé, suivant les dépositions, de soulever les pâtres dans les campagnes d’Apulie ; de P. Furius, un de ces colons que Sylla établit à Fésules ; de Q. Manlius, qui avait pris part à toutes les intrigues de Furius pour séduire les Allobroges ; enfin, celle de l’affranchi P. Unibrenus, évidemment coupable d’avoir le premier conduit les Gaulois chez Gabinius. Admirez, citoyens, l’extrême indulgence du sénat : sur la multitude innombrable d’ennemis domestiques qui ont trempé dans cette vaste conjuration, il a cru que le châtiment de neuf des plus scélérats pourrait, en sauvant la république, ramener les autres de leur criminel égarement. Les dieux immortels ne sont point oubliés dans ce décret. En reconnaissance de leur haute protection, des actions de grâces leur sont décernées ; et je suis le premier des Romains qui, sans avoir revêtu l’habit de guerre, voie proclamer en mon nom cette glorieuse solennité. Les motifs sont : « que j’ai préservé la ville de l’incendie ; les citoyens du massacre ; l’Italie des horreurs de la guerre. » Ainsi, quoique beaucoup aient reçu un pareil honneur pour avoir bien servi la république, moi seul, par une éclatante distinction, je le reçois pour l’avoir sauvée. Le décret rendu, une chose a été faite, qui devait passer avant tout. Sans doute Lentulus, convaincu par tant de témoignages et par ses propres aveux, avait perdu aux yeux du sénat sa qualité de citoyen, et à plus forte raison celle de préteur ; cependant il a formellement abdiqué ; et le scrupule qui n’empêcha pas le grand Marius de punir de mort, dans Caïus Glaucia, un préteur qu’aucun arrêt n’avait personnellement condamné, ce