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CONTRE L. CATILINA, LIV. III.

demande aucune récompense, aucune distinction, aucun monument de gloire. Gardez seulement de cette grande journée un souvenir impérissable. C’est dans vos cœurs que je veux triompher ; c’est là que je veux placer tous mes titres d’honneur, tous les trophées de ma victoire. Je n’attache aucun prix à ces monuments vulgaires, signes muets d’une reconnaissance qu’on n’a pas toujours méritée. Mes services vivront dans votre mémoire : ils croîtront dans vos entretiens, et vos annales leur assureront une immortelle existence. Ce jour, oui, ce jour à jamais mémorable, a lui sur la république, et pour la sauver, et pour éterniser le souvenir de mon consulat. L’avenir saura que, dans un seul et même temps, deux hommes se rencontrèrent, dont l’un reculait par delà des bornes connues de la terre les limites de l’empire, tandis que l’autre sauvait la capitale de cet empire, et le siége de sa vaste puissance.

XII. Cependant la fortune a mis à mes succès et à ceux du général victorieux au dehors, un prix bien différent. Mon sort est de vivre au milieu des hommes que j’ai vaincus, tandis que le général laisse les ennemis qu’il combattit, ou morts, ou subjugués. Ainsi, quand il recueille le prix de ses services, faites, citoyens, que je ne sois pas un jour puni des miens. Je vous ai garantis des complots sacriléges des hommes les plus audacieux ; c’est à vous de me mettre moi-même à l’abri de leur vengeance. Au reste, il leur est désormais impossible de me nuire. J’ai pour sauvegarde l’appui des gens de bien, qui m’est assuré pour jamais ; la majesté de la république, qui me couvrira toujours d’une invisible égide ; la voix de la conscience, que nul de mes ennemis ne pourra braver sans se dénoncer lui-même. Mais je trouve encore dans mon courage une autre garantie. Ose le crime ce qu’il voudra, je lui résisterai ; je ferai plus : j’oserai moi-même l’attaquer en face. Que si nos ennemis domestiques, pour me punir de vous avoir sauvés de leur rage, la tournent tout entière contre moi seul, ce sera à vous, citoyens, de montrer à quel sort doivent s’attendre désormais ceux qui se seront dévoués, pour votre salut, aux haines et aux dangers.

Pour ce qui me touche personnellement, est-il quelque chose au monde qui puisse ajouter pour moi un nouveau prix à l’existence, quand je ne vois ni dans la carrière des honneurs, ni dans celle de la gloire rien de plus haut où je puisse arriver ? Toute mon ambition est de soutenir et d’honorer, dans la condition privée où je rentrerai bientôt, la renommée de mon consulat. Ainsi tourneront à ma gloire et à la confusion de mes ennemis, les haines que j’ai pu m’attirer en sauvant la patrie ; ainsi la république me trouvera toujours digne de ce que j’ai fait pour la servir ; et ma vie entière prouvera que mes actions furent l’ouvrage de la vertu et non celui du hasard. Pour vous, citoyens, puisque le jour finit, adressez vos hommages au grand Jupiter, le gardien de cette ville et le vôtre ; retirez-vous ensuite dans vos maisons ; et, quoique le danger soit passé, ne laissez pas de veiller à leur sûreté comme la nuit précédente. Bientôt je vous délivrerai de ce soin, et j’assurerai pour jamais votre tranquillité.