Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/62

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et reconnus ; mais il servirait lui-même à les prouver tous, si quelqu’un d’eux pouvait être révoqué en doute. Eh bien ! citoyens, ce gladiateur vous semble-t-il avoir renoncé à sa profession ? le disciple est-il moins habile que le maître ? Avarice, méchanceté, impudence, audace, chez ces dignes rivaux, tout est égal, tout est pareil : ce sont les mêmes vices portés aux mêmes excès.

XLI. La bonne foi du maître vous est connue ; connaissez à présent l’équité du disciple. J’ai déjà dit qu’on leur a demandé à plusieurs reprises deux esclaves pour qu’ils fussent interrogés. Titus, vous les avez constamment refusés. Ne deviez-vous aucun égard à ceux qui demandaient ? Étiez-vous sans pitié pour celui au nom duquel ils réclamaient ? Ou enfin la chose vous semblait-elle être injuste ? J’ai nommé ceux qui faisaient cette demande ; ce sont les citoyens les plus distingués par leur naissance et leur probité : il n’est personne qui ne s’empressât de souscrire à tout ce que pourraient proposer des hommes aussi respectables. Ils requéraient au nom d’un infortuné, d’un fils prêt à se dévouer lui-même aux tourments, pourvu qu’on informât sur le meurtre de son père. Enfin, la proposition était d’une telle nature que vous ne pouviez la rejeter, sans vous avouer coupables.

Dites-nous donc quel a pu être le motif de ce refus. Ces esclaves étaient avec Roscius lorsqu’il a été frappé. Je ne prétends ni les accuser ni les justifier ; mais cette résistance de votre part est suspecte. Les égards que vous avez pour eux prouvent qu’ils sont maîtres d’un secret dont la révélation vous serait funeste. La loi, dites-vous, ne permet pas qu’on interroge des esclaves à la charge de leur maître. Est-ce donc là ce qu’on propose ? L’accusé est Sextus, et d’un autre côté, vous ne dites pas que ces esclaves soient à vous. Mais ils sont au pouvoir de Chrysogonus : sans doute Chrysogonus, charmé de leur esprit et de leur urbanité, a voulu que ces hommes de peine, façonnés aux plus rudes travaux dans une ferme d’Amérie, vinssent compléter le nombre de ces jeunes artistes de toute espèce, choisis dans les troupes d’esclaves les mieux composées.

Non, citoyens, non, il n’est pas vraisemblable que leurs talents et leur urbanité les aient rendus chers à Chrysogonus, ou qu’il ait voulu récompenser l’exactitude et la fidélité de leurs services. On cache quelque mystère ; mais plus on fait d’efforts pour le soustraire à nos regards, plus le secret échappe et se manifeste.

XLII. Quoi donc ! Chrysogonus, en ne livrant pas les esclaves, cherche-t-il à cacher son crime ? Non, citoyens, je ne crois pas que les mêmes reproches puissent s’adresser à tous : mes soupçons ne tombent point ici sur Chrysogonus, et ce n’est pas la première fois que je le dis. Vous vous souvenez que j’ai commencé par distribuer ma cause en trois parties. J’ai distingué d’abord l’accusation, dont la rédaction a été confiée à Érucius ; ensuite l’audace, c’est le rôle dont on a chargé les Roscius ; tout ce qui a rapport au crime, à la cruauté, au meurtre, est personnel aux Roscius. Quant à Chrysogonus, je dis que son crédit et sa puissance énorme nous accablent, qu’on ne peut plus les tolérer, et que vous devez, puisque vous