Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/629

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que réfutent nos usages, notre genre de vie, nos mœurs, notre état politique. Cependant ni les Lacédémoniens, dont vous avez emprunté ce caractère et ce langage, et qui prennent leurs repas assis sur le tronc d'un chêne.; ni les Crétois, qui mangent toujours debout, n'ont su conserver l'indépendance de leur patrie plus longtemps que les Romains, qui partagent leur temps entre le travail et les plaisirs. L'un de ces peuples a cessé d'être, à la simple apparition de notre armée; l'autre ne doit qu'à la protection de notre empire le maintien de ses lois et de ses institutions.

XXXVI. Veuillez donc, Caton, ne pas censurer avec tant d'amertume d'antiques usages sanctionnés par la république elle-même et par la durée de cet empire. Il y eut aussi chez nos aïeux un homme aveuglé par ce même amour du stoïcisme, citoyen distingué d'ailleurs par ses connaissances, sa vertu, sa noblesse, Q. Tubéron. Lorsque Q. Maximus, pour honorer la mémoire de Scipion l'Africain, son oncle paternel, donna un repas au peuple romain, il pria Tubéron de présider aux apprêts en sa qualité de neveu de ce grand homme. Le savant, en vrai stoïcien, fit étendre des peaux de bouc sur des lits à la carthaginoise, et servit en vaisselle de Samos, comme s'il eût eu à honorer la tombe de Diogène le Cynique, et non celle de Scipion, de cet homme presque divin, dont Q. Maximus fit un éloge si glorieux à ses funérailles, quand il rendit grâce aux dieux immortels de l'avoir fait naître dans notre république, l'empire du monde devant être là où était né Scipion. La sagesse mal entendue de Tubéron dans cette cérémonie mécontenta vivement le peuple romain. Aussi, malgré son intégrité, son zèle pour le bien public, le petit-fils de Paul Émile, le neveu de Scipion l'Africain, comme je l'ai déjà dit, succomba dans ses prétentions à la préture, sous le ridicule de ces peaux de bouc. Le peuple romain hait le luxe dans les particuliers; mais il aime la magnificence dans l'État; il ne veut point la profusion dans les repas, mais encore moins une basse et sordide avarice. Il sait faire la part des devoirs et des temps, allier avec sagesse le travail au plaisir.

Vous-même, quand vous prétendez que le mérite d'un candidat doit seul lui concilier les suffrages, je dis que, malgré tout le vôtre, vous n'êtes pas conséquent avec vous-même. Pourquoi sollicitez-vous de chacun sa bienveillance et son appui? vous me priez de vous choisir pour me commander, de me confier à votre vigilance? Mais quoi? Est-ce donc à vous à me solliciter? N'est-ce pas plutôt à moi de vous prier de vous charger du soin pénible et dangereux de veiller à ma sûreté? Que dis-je? Et ce nomenclateur qui vous accompagne? n'est-ce pas là abuser et tromper les citoyens? Car si c'est une politesse de votre part que de saluer vos concitoyens par leur nom, il est honteux que votre esclave les connaisse mieux que vous: si vous les connaissez, et que néanmoins vous croyiez devoir interroger ce nomenclateur, pourquoi n'attendez-vous pas, pour solliciter leur suffrage, qu'il vous ait dit leur nom à l'oreille? Pourquoi, quand on vous a dit leur nom, les saluez-vous d'un air de connaissance? Pourquoi enfin, une fois désignés, les saluez-vous plus négligemment? Cette conduite, envisagée d'après nos usages, n'a rien de blâmable; mais elle est criminelle, si vous la jugez avec la sévérité de vos principes. Ne privez donc pas le peuple romain du plaisir qu'il