Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/632

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dieux que la valeur de mon collègue écrase sous ses armes victorieuses la rébellion du brigand qui nous menace ; et moi, puissé-je sans quitter la toge, avec votre secours, avec celui de tous les gens de bien, découvrir et étouffer par ma vigilance le germe des fléaux que la république recèle et couve dans son sein !

Mais qu’arrivera-t-il, si le torrent, vainement contenu par nos mains, rompt sa digue l’année prochaine ? Nous n’aurons plus qu’un consul, et un consul moins occupé de soutenir la guerre que de se donner un collègue. Déjà l’on s’apprête à lui susciter des obstacles ; bientôt Catilina, cet exécrable monstre, lèvera sa tête hideuse. Déjà il menace le peuple romain ; bientôt il sera aux portes de Rome ; la fureur régnera dans son camp ; l’épouvante, dans le sénat ; la conjuration, dans le forum ; la guerre, dans le Champ de Mars ; la désolation, dans les campagnes : le fer et le feu nous poursuivront partout. Mais si l’État conserve ses défenseurs, tous ces complots tramés depuis longtemps seront étouffés sans peine par la sagesse de nos magistrats et les efforts des citoyens.

XL. Puisqu’il en est ainsi, juges, c’est d’abord au nom de la patrie, dont l’intérêt doit passer avant tout ; c’est en mémoire du dévouement infatigable dont j’ai toujours fait preuve pour le bien de l’État ; c’est avec l’autorité d’un consul, c’est en présence du danger qui nous menace, que je vous conseille, vous recommande, vous supplie, d’assurer votre repos, votre tranquillité, votre conservation, votre existence et celle de tous les Romains ; je vous en conjure en outre, et comme ami et comme défenseur de l’accusé, dans la douloureuse situation où Muréna a été réduit par les souffrances de l’esprit et du corps, ne changez point en larmes cruelles la joie des félicitations que tout à l’heure il recevait encore ! Honoré naguère du plus grand bienfait que puisse accorder le peuple romain, il semblait heureux d’avoir le premier porté le consulat dans une famille illustre, dans une ancienne ville municipale : maintenant, couvert d’habits de deuil, épuisé par la maladie, plongé dans le chagrin et dans les larmes, il est devant vous en suppliant : juges, il atteste votre justice, implore votre pitié ; il n’a d’espoir qu’en votre puissance et votre protection.

Au nom des dieux immortels, juges, ne souffrez pas que ses efforts pour s’élever à de nouvelles dignités le privent de celles qu’il possédait déjà, et lui ravissent en même temps et son honneur et sa fortune. Muréna vous en prie et vous en conjure : s’il est vrai qu’il n’a jamais fait de tort à personne ; s’il n’a jamais blessé personne par ses paroles ou ses actions ; si, pour ne rien dire de plus, il ne s’est jamais attiré d’inimitié, soit à Rome, soit dans les camps ; que sa modestie, que sa simplicité, que sa retenue trouvent auprès de vous un asile, un refuge et un appui. Le citoyen dépouillé du consulat est digne de votre pitié, puisqu’en le perdant, il perd tout à la fois. Le consulat lui-même ne peut être un objet d’envie dans un temps où il expose aux déclamations des factieux, aux piéges des conspirateurs, aux poignards de Catilina, à tous les périls, à toutes les haines. Non, juges, je ne vois pas ce qu’on peut envier à Muréna ou à quelqu’un de nous dans cette brillante magistrature ; quant aux malheurs qui l’accompagnent, ils sont présents à mes yeux, et vous pouvez les voir et les apprécier comme moi.