Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/644

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piré au pouvoir des rois ? sans parcourir nos anciennes annales, Torquatus, tu les trouveras parmi les portraits de ta famille.

Mais peut-être mes actions m’ont trop élevé l’âme, m’ont inspiré je ne sais quel enthousiasme. Je puis dire de ces actions si illustres, si impérissables, qu’après avoir délivré Rome et tous les citoyens des derniers périls, je me croirai trop heureux, si cet immense service rendu à tous les hommes ne fait retomber sur moi-même aucun danger. Je n’oublie pas dans quelle république j’ai fait de si grandes choses ; je comprends dans quelle ville je dois passer ma vie. La place publique est remplie de ces mêmes hommes à qui j’ai dérobé vos têtes, et qui menacent encore la mienne. À moins que vous ne les supposiez en petit nombre, ceux qui ont pu tenter ou espérer de renverser un si grand empire. Je pouvais leur arracher leurs torches, faire tomber les glaives de leurs mains ; je l’ai fait ; mais leurs âmes atroces et parricides, je n’ai pu ni les guérir, ni les faire disparaître. Je n’ignore donc pas à quels périls je suis exposé au milieu d’une si grande foule d’hommes pervers ; car je vois que j’aurais à soutenir, seul contre tous les méchants, une guerre éternelle.

X. Si par hasard tu m’envies les appuis qui me protègent, et si tu crois que je règne parce que tous les gens de bien de tous les ordres et de tous les rangs attachent leur conservation à la mienne, console-toi, en me voyant exposé seul à la haine et aux attaques de tous les méchants. Ils me haïssent, non-seulement parce que j’ai réprimé leurs efforts impies, leurs fureurs scélérates ; mais plus encore, parce qu’ils n’espèrent plus, moi vivant, entreprendre jamais rieu de semblable contre la patrie. Et pourquoi m’étonnerais-je que des méchants disent du mal de moi, quand L. Torquatus même, lui qui, fort d’une jeunesse si honorable, peut aspirer à la suprême magistrature ; lui, fils de L. Torquatus, consul intrépide, sénateur ferme, toujours excellent citoyen, s’emporte quelquefois et ne garde plus aucune mesure dans ses paroles ? En parlant du crime de Lentulus, de l’audace de tous les conjurés, il baissait la voix de manière à n’être entendu que de vous, qui approuvez ce langage : en rappelant le supplice de Lentulus dans la prison, il élevait la voix d’un ton pathétique. D’abord il y avait en cela quelque chose d’absurde, en voulant vous faire approuver ce qu’il disait à voix basse, sans vouloir cependant être entendu de ceux qui environnaient le tribunal ; il ne sentait pas que ce qu’il disait à haute voix serait entendu non-seulement de ceux à qui il voulait plaire, mais de vous aussi qui ne pouviez l’approuver. Ensuite, un autre défaut de l’orateur, c’est de ne pas voir ce que demande chaque cause. Il n’est rien de si déplacé dans celui qui en accuse un autre de conjuration, que de paraître déplorer le supplice et la mort des conjurés. Qu’un tribun du peuple les plaigne, un tribun qui semble être resté seul des conjurés pour pleurer leur mort, rien de bien surprenant : il est difficile de se taire dans une vive douleur ; mais qu’un jeune homme comme toi, Torquatus, fasse de même, dans une cause où il demande la punition d’un conjuré, c’est là ce qui m’étonne.