Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troubler les jugements par les menaces et par les armes ; dans la prospérité, mépriser tout le monde ; dans les revers, attaquer les gens de bien ; incapable de céder à la république, ni de se laisser abattre par la fortune. Quand sa cause n’aurait pas contre elle l’évidence des faits, ses mœurs et sa conduite suffiraient pour le convaincre.

XXVI. Maintenant, juges, comparez avec de tels hommes la vie de Sylla, si bien connue de vous et du peuple romain, et remettez-vous-là sous les yeux. Peut-on citer de lui aucune action, aucune démarche, je ne dirai pas audacieuse, mais qu’on ait pu taxer d’imprudence ? Que dis-je, une action ? Lui est-il même échappé une seule parole dont personne pût s’offenser ? Dans cette victoire de L. Sylla, si cruelle, si désastreuse, qui fut plus doux que P. Sylla ? Qui fut plus compatissant ? De combien de citoyens ne demanda-t-il pas la grâce ? Pour combien de grands et illustres personnages, de notre ordre et de l’ordre équestre, ne se rendit-il pas caution auprès du dictateur ? Je les nommerais volontiers, et eux-mêmes ne s’y opposeraient pas, puisqu’ils sollicitent aujourd’hui en sa faveur avec tout le zèle de la reconnaissance : mais comme le bienfait est au-dessus de ce qu’un citoyen doit pouvoir accorder à un citoyen, attribuez, je vous prie, aux circonstances qu’il ait pu rendre de tels services, et à lui-même qu’il les ait rendus.

Parlerai-je du reste de sa vie qui ne se démentit jamais ? De sa noblesse, de sa générosité, de sa modération dans sa conduite privée, de sa magnificence dans les occasions d’éclat ? La fortune a défiguré ce bel ensemble, mais on en voit encore les premiers traits formés par la nature. Et sa maison ! quelle affluence, chaque jour ! Quelle dignité dans ses liaisons ! que d’amis de tous les ordres ! quel zèle, que d’attachement pour lui ! Ces avantages, acquis si longuement, fruits de tant de soins, un seul moment les lui a tous enlevés. Sylla sans doute a reçu une blessure profonde et mortelle, mais il pouvait la recevoir avec une telle vie, un tel caractère. On jugea qu’il avait désiré trop vivement les honneurs et les illustrations. Si personne n’a ambitionné aussi vivement le consulat, on a eu raison de le juger plus ardent qu’aucun autre ; mais si plusieurs ont montré la même passion, peut-être la fortune a-t-elle été plus rigoureuse pour lui que pour les autres. Depuis, n’a-t-on pas toujours vu Sylla, triste, abattu, humilié ? A-t-on jamais soupçonné qu’il évitât le grand jour par haine des hommes plutôt que par pudeur ? Bien des motifs pouvaient le retenir à la ville, au forum, où il trouvait des amis zélés et fidèles, seul bien. il est vrai, qui lui restât dans son malheur ; il se cache cependant à vos yeux ; et quoique la loi lui permît de rester, il se condamna lui-même à une espèce d’exil.

XXVII. Croyez-vous qu’avec cette noblesse de sentiment, après une telle conduite, il y ait eu place dans son âme pour un si grand crime ? Regardez sa personne, voyez sa contenance ; comparez l’accusation avec sa vie. Cette vie qui s’est développée devant vous depuis sa jeunesse jusqu’à ce jour, confrontez-la avec l’accusation. Je ne parle point de la république, qui a toujours été chère à Sylla ; mais ses amis ici présents, ces