Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/66

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mieux : c’est dans cet espoir qu’ils ont combattu ; et j’avoue que leurs vœux ont été les miens. Mais si on a pris les armes pour que les derniers des hommes pussent s’enrichir du bien d’autrui, et se jeter à leur gré sur les possessions de chaque citoyen ; s’il n’est permis ni de leur résister, ni même de les improuver, alors cette guerre, au lieu de rendre la paix et la liberté au peuple romain, n’a fait qu’appesantir sur lui le joug de l’oppression. Mais il n’en est pas ainsi, et telles n’ont pas été les intentions des vainqueurs. Résister à ces brigands, ce n’est point outrager les nobles, c’est les honorer.

XLVIII. En effet, ceux qui veulent blâmer l’état présent des choses, se plaignent du pouvoir excessif de Chrysogonus ; ceux qui le veulent louer, répondent que ce pouvoir ne lui a pas été donné. Nul homme aujourd’hui ne peut être assez dépourvu de bonne foi ou de jugement, pour dire : Je voudrais qu’il fût permis, j’aurais parlé. — Il vous est permis de parler. — J’aurais fait telle chose. — Faites : personne ne vous en empêche. — J’aurais opiné de telle manière. — Si votre opinion est raisonnable, on l’approuvera. — J’aurais prononcé tel jugement. — Que votre jugement soit équitable et conforme aux lois, chacun applaudira. Lorsque la nécessité et les circonstances l’exigeaient, un seul homme réunissait tous les pouvoirs : depuis qu’il a créé des magistrats et rétabli les lois, chaque citoyen est rentré dans l’exercice de ses fonctions et de ses droits. Ceux qui les ont recouvrés sont maîtres de les conserver toujours. Mais s’ils commettent ou s’ils approuvent ces meurtres, ces brigandages et ces profusions scandaleuses, je ne veux point annoncer de sinistres présages ; je ne dirai qu’un mot : Si les nobles manquent de vigilance, de probité, de courage et d’humanité, ils se verront forcés de céder leurs prérogatives à ceux qui posséderont ces vertus.

Qu’ils cessent donc enfin de répéter, qu’un homme est coupable, parce qu’il a osé dire la vérité ; qu’ils cessent de faire cause commune avec Chrysogonus, et de se croire blessés dans la personne d’un affranchi ; qu’ils pensent que ce serait le comble de l’ignominie, que les mêmes hommes qui n’ont pu souffrir la splendeur de l’ordre équestre pussent supporter la domination d’un vil esclave. Cette domination s’est exercée d’abord sur d’autres objets ; vous voyez quelle route elle se fraie aujourd’hui : elle cherche à s’étendre jusque sur la conscience, sur les serments, sur vos jugements, sur la seule chose qui soit restée pure et intacte dans la république.

Quoi ! même ici Chrysogonus se croit quelque pouvoir ? ici même il veut être dominateur ? Ô sort funeste et déplorable ! Je n’appréhende pas qu’il réussisse ; mais il a tenté, il s’est flatté d’obtenir de vous la condamnation d’un homme innocent : voilà ce qui excite mes plaintes ; voilà ce que je ne puis voir sans frémir d’indignation.

XLIX. La noblesse, revenue de son assoupissement, a-t-elle reconquis ses droits par la force des armes, afin de donner aux affranchis et aux esclaves des nobles les moyens d’envahir à leur gré vos biens, vos fortunes et les nôtres ? S’il en est ainsi, j’avoue que j’étais dans l’erreur quand j’ai fait des vœux pour sa cause ; j’étais un insensé, lorsque, sans prendre les armes, je me suis cependant uni de sentiments avec elle. Mais si les