Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/663

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par un lien commun, et sont, pour ainsi dire, les enfants d’une même famille.

II. Mais pour qu’on ne s’étonne point que, dans une question de droit, dans une cause plaidée en public, devant un personnage de la plus haute distinction, le préteur du peuple romain, devant des juges respectables, en présence d’une aussi grande affluence d’auditeurs, j’emploie un style étranger aux coutumes des tribunaux, et même à l’éloquence judiciaire ; je vous demanderai une grâce que vous ne me refuserez pas sans doute, par égard pour l’accusé, et dont, je l’espère, vous ne vous repentirez pas vous-mêmes : c’est qu’ayant à plaider pour un grand poète, pour un savant, devant un auditoire si instruit, en présence de juges si éclairés, et surtout d’un tel préteur, vous me permettiez de m’étendre avec quelque liberté sur le mérite des sciences et des lettres, et de me servir, en. parlant au nom d’un homme qu’une vie tranquille et studieuse a rendu étranger aux affaires et aux orages du barreau, d’un style extraordinaire, et inconnu jusqu’à présent. Si vous m’accordez cette demande, cette faveur, je vous ferai voir que vous ne devez pas retrancher du nombre des citoyens A. Licinius, puisqu’il est véritablement citoyen ; et même que, s’il ne l’était pas, vous devriez l’adopter.

III. En effet, à peine Archias fut-il hors de l’enfance ; à peine, au sortir des études qui forment ordinairement la jeunesse à la vie de l’homme, se fut-il livré à la composition, qu’il se fit connaître dans Antioche (car il est né de parents distingués, dans cette ville depuis longtemps célèbre, opulente, et remplie de savants et d’hommes de goût dans tous les genres : ) et bientôt il s’éleva au-dessus de tous par l’éclat de son génie. Plus tard, dans les autres parties de l’Asie, dans toute la Grèce, on parlait de son arrivée avec un tel enthousiasme que l’attente était au-dessus de sa réputation ; mais à son arrivée, l’admiration surpassait l’attente même. L’Italie était alors remplie d’hommes studieux qui cultivaient les sciences et les lettres grecques. Ces études étaient alors suivies dans le Latium avec plus d’ardeur qu’aujourd’hui dans les mêmes villes ; à Rome même, grâce à la tranquillité de la république, elles n’étaient pas négligées. Aussi les habitants de Tarente, de Rhéges, de Naples, lui accordèrent-ils le droit de cité avec leurs autres privilèges ; et tous ceux qui savaient apprécier le mérite jugèrent qu’il était digne d’être leur hôte et leur ami. Avec une réputation si brillante, déjà connu de ceux qui ne l’avaient pas encore vu auparavant, il vint à Rome sous le consulat de Marius et de Catulus : deux hommes dont l’un pouvait fournir une ample matière à son génie, et l’autre, avec de belles actions, une oreille délicate et un goût excercé. Aussi Archias n’avait pas encore quitté la prétexte que les Lucullus s’empressèrent de le recevoir chez eux ; mais ce fut moins par ses talents et son amour pour les lettres, que par son heureux naturel et ses vertus, qu’il mérita de conserver jusqu’à la vieillesse l’amitié d’une maison qui l’avait accueilli la première dans son jeune âge.

Il avait su plaire en ces temps-là au grand Métellus le Numidique, et à Pius son fils : M. Émi-