Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/665

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V. Après des faits si clairs, peut-on révoquer en doute le droit de Licinius, surtout quand on le voit inscrit comme citoyen dans plusieurs autres villes ? Des hommes médiocres, sans aucune profession, ou qui n’en avaient qu’une fort peu estimée, ont reçu gratuitement chez les Grecs le droit de cité ; et des villes telles que Rhèges, Locres, Naples, Tarente, auraient refusé à un poète d’un si grand mérite ce qu’elles prodiguaient à de simples acteurs ? Eh quoi ! lorsque tant d’autres, après la loi de Silvanus, même après la loi Papia, se sont glissés, on ne sait comment, dans les registres de ces villes municipales, Archias qui ne fait point valoir le titre que lui ont accordé plusieurs d’entrés elles, parce qu’il s’est toujours contenté d’être citoyen d’Héraclée, sera-t-il privé de ses droits ?

Tu demandes nos rôles de recensement, comme si l’on ne savait pas que lors du dernier qui se fit, Archias était à l’armée de l’illustre Lucullus ; qu’à l’époque du précédent, il était avec le même Lucullus, questeur en Asie ; et que, sous. Julius et Crassus, les premiers censeurs depuis son adoption, aucune classe du peuple ne fut recensée ! Mais comme le recensement n’établit pas le droit de citoyen, et indique seulement que celui qui y a été compris se comportait alors comme citoyen romain, dans ce temps-là même que tu attaques, où tu soutiens que de son propre aveu Archias ne prétendait pas à ce droit, il a fait plusieurs fois son testament selon nos lois ; il a recueilli des successions de citoyens romains ; et il a été porté sur l’état des grâces au trésor public par Lucullus, préteur et consul.

Cherche des preuves si tu le peux ; tu n’en pourras découvrir aucune pour me réfuter, ni dans la conduite d’Archias ni dans celle de ses amis.

VI. Tu me demanderas peut-être, Gratius, pourquoi nous aimons tant Archias ? Nous trouvons dans sa société un délassement pour notre esprit et un repos pour nos oreilles après les agitations bruyantes et les querelles du forum. Crois-tu que nous puissions suffire à tant de matières différentes qui se présentent tous les jours, si notre esprit n’était renouvelé par la culture des lettres ; ou soutenir une application continue, s’il n’y trouvait en même temps quelque relâche ? Pour moi, j’avoue que je me livre avec plaisir à ces études. On peut en rougir quand on s’y enfonce de telle sorte qu’il n’en résulte aucun avantage pour la société, qu’il n’en paraît même rien à la lumière. Mais pourquoi en rougirais-je, moi qui, depuis tant d’années, lorsqu’il s’est agi de servir un citoyen, n’ai jamais été retenu par le soin de mes intérêts ou de mon repos, ni distrait par le plaisir, ni arrêté par le sommeil ?

Qui pourra donc me blâmer ou s’irriter contre moi, si le temps accordé aux autres pour la célébration des fêtes et des jeux, pour leurs plaisirs, pour le repos de l’âme et du corps ; le temps que d’autres perdent dans de longs repas, aux jeux de hasard, à la paume, moi, je le consacre à m’entretenir dans mes études littéraires ? On doit me le pardonner d’autant plus, que ces discours mêmes, ce talent de la parole, font partie de ces études. Quelque soit ce talent, il n’a jamais manqué à mes amis dans leurs besoins. S’il paraît peu de chose, je sens du moins à quelle source je puise les nobles pensées dont je vais vous entretenir.

En effet, si les leçons de plusieurs sages et l’étude assidue des lettres ne m’avaient persuadé