Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/667

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l'activité incroyable de l’esprit ! Combien de fois ai-je vu Archias (car je profite de la bienveillante attention avec laquelle vous m’écoutez dans cette cause toute nouvelle), combien de fois l’ai-je vu, sans avoir écrit une seule lettre, nous improviser un très-grand nombre de bons vers sur les matières dont nous nous entretenions ! Combien de fois, prié de les redire, a-t-il répété les mêmes choses en d’autres termes et avec d’autres pensées ! Quant à ses compositions écrites et travaillées avec soin, je les ai entendu louer presque à l’égal des meilleurs ouvrages des anciens. Pourrais-je ne pas aimer, ne pas admirer un tel homme, et ne pas me croire obligé de le défendre par tous les moyens que j’ai en moi ?

Nous avons appris des savants les plus illustres que les autres talents s’acquièrent par l’étude, les préceptes, la méthode ; mais que le poète ne doit rien qu’à la nature, qu’il s’anime par la force de son génie, et qu’il est inspiré par un souffle divin. Aussi notre compatriote Ennius défendait ses droits, en appelant les poètes des personnages sacrés ; parce qu’ils paraissent en quelque sorte nous avoir été donnés comme une faveur et un présent des dieux.

Qu’il soit donc sacré pour vous, citoyens juges, vous les plus civilisés des hommes, ce nom de poète que les barbares même ont toujours respecté. Les rochers et les solitudes répondent à la voix des poètes ; souvent les bêtes féroces sont attirées, et s’arrêtent charmées par leurs accords ; et nous, formés par l’étude des lettres, nous serions insensibles aux accents de la poésie !

IX. Les habitants de Colophon disent qu’Homère était leur concitoyen ; ceux de Chio le revendiquent ; Salamine le réclame ; les Smyrniens prouvent qu’il leur appartient : aussi lui ont-ils élevé un temple dans leur ville. Plusieurs autres peuples se disputent et ambitionnent le même honneur. Ainsi ils réclament, même après sa mort, un étranger, parce qu’il fut grand poète ; et Archias, qui est vivant, qui veut être notre concitoyen, qui l’est d’après nos lois, nous le repousserions, surtout lorsqu’il a consacré depuis longtemps tout son travail et tout son génie à la gloire et aux vertus du peuple romain ! Dans sa jeunesse, il s’est essayé sur la guerre des Cimbres, et par là même il gagna les bonnes grâces de Marius, qui paraissait peu sensible à ce genre de mérite. C’est qu’il n’y a personne assez ennemi des Muses pour ne pas voir avec plaisir son nom et ses travaux immortalisés par la poésie. On demandait un jour, dit-on, à Thémistocle, ce fameux Athénien, quel chant, quelle voix lui plaisait le mieux : « Celle, répondit-il, qui fait le mieux l’éloge de mes actions. » Aussi le même Marius aimait-il singulièrement Plotius, dont le génie lui paraissait capable de célébrer ses exploits.

La guerre de Mithridate, cette guerre si difficile et si longue, dont les événements furent si variés sur terre et sur mer, a été traitée tout entière par notre poète ; et cet ouvrage ajoute un nouveau lustre non-seulement à la valeur du noble et célèbre Lucullus, mais encore au nom du peuple romain. En effet, c’est le peuple romain qui, sous le commandement de Lucullus, s’est ouvert le Pont, ce royaume défendu et par les forces d’un roi puissant, et par la nature même, des lieux. C’est l’armée peu nombreuse du peuple romain qui, sous le même chef, mit en fuite l’armée innombrable des Arméniens ; c’est la valeur du peuple romain, conduit par le même