Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/669

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récompense la bonne volonté d’un mauvais écrivain, n’aurait-il pas recherché un génie si fort et facile ? Quoi ! Archias n’aurait-il pu, ni par lui-même ni par les Lucullus, obtenir cette faveur de Métellus Pius, son ami particulier, qui l’a accordée à beaucoup d’autres ; lui surtout qui désirait avec tant d’ardeur qu’on écrivît ses belles actions, que des poètes de Cordoue, tout rudes et tout barbares que fussent leurs chants, ne laissaient pas de captiver ses oreilles ?

Et pourquoi dissimuler un sentiment qu’on ne peut tenir secret ? Il faut l’avouer sans crainte. Nous sommes tous sensibles aux attraits de la gloire, les grandes âmes avant toutes les autres. Ces philosophes mêmes qui écrivent sur le mépris de la gloire mettent leur nom à la tête de leurs livres : au moment même où ils affectent de mépriser la louange et la célébrité, ils désirent d’être loués et connus. Décimus Brutus, aussi bon citoyen que grand capitaine, fit graver des vers d’Attius, son intime ami, au frontispice des temples et des monuments qu’il avait fait élever. Et celui qui se fit accompagner d’Ennius dans la guerre contre les Étoliens, Fulvius, n’hésita pas à consacrer aux Muses les dépouilles de Mars. Ainsi dans une ville où des généraux, encore tout armés, ont honoré le nom des poètes et les temples des Muses, des juges, magistrats pacifiques, ne sauraient être indifférents à la gloire des Muses et au salut des poètes.

XI. Et pour vous y engager plus vivement encore, citoyens juges, je vous parlerai de moi-même, et je vous avouerai mon amour pour la gloire, trop vif peut-être, mais honorable. Ce que nous avons fait avec vous dans notre consulat pour la conservation de cette ville et de cet empire, pour la vie des citoyens elle salut de l’État tout entier, Archias a entrepris de l’écrire en vers. L’ouvrage est commencé, et ce qu’il m’en a lu m’a paru si élevé, si intéressant, que je l’ai exhorté à continuer. Car la vertu ne souhaite d’autre récompense de ses travaux et de ses dangers que les éloges et la gloire. Ôtez cette espérance, quel motif aurions-nous de fatiguer par tant de travaux une vie renfermée dans une carrière si courte et si étroite ? Assurément si notre âme n’avait pas le pressentiment de l’avenir, si le même terme où s’arrête le cours de la vie bornait aussi toutes nos pensées, l’homme voudrait-il s’user par tant de travaux, se tourmenter par tant de veilles et de soucis, risquer tant de fois ses jours ? Mais dans les cœurs les plus vertueux réside un noble sentiment qui jour et nuit les anime par l’aiguillon de la gloire ; et qui nous avertit de ne pas laisser périr avec nous le souvenir de notre nom, de le faire vivre au contraire aussi longtemps que la dernière postérité.

Montrerions-nous donc une âme assez peu élevée, nous toujours livrés aux affaires publiques, aux dangers, aux travaux, pour croire qu’après avoir été jusqu’au bout de la carrière sans avoir eu le loisir de respirer tranquillement, il ne restera rien de nous après notre mort ? Eh quoi ! tant de grands hommes ont pris soin de laisser après eux des statues et des portraits, images non de leur esprit, mais de leurs corps, et nous ne souhaiterions pas avec plus d’ardeur de laisser de nos pensées et de nos vertus des tableaux tracés et achevés par les mains les plus habiles ? Pour moi, dans tout ce que j’ai entrepris,