Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/745

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la république n’aurait pu se soutenir, si je n’avais été rétabli, ou aurait péri, si je n’y fusse revenu. Après le sénat, vient l’ordre des chevaliers romains. Or, tous ceux de cet ordre, qui forment les sociétés des fermiers de l’État, ont approuvé mon consulat et toute ma conduite, par les arrêtés les plus magnifiques et les plus honorables. Les scribes, qui partagent avec nous le soin des comptes et des archives de la république, n’ont point voulu laisser ignorer leur jugement sur les services que j’avais rendus à l’État. Il n’y a point ici de corporation, point de réunion des bourgs et des hauts quartiers de la ville, puisque nos ancêtres ont voulu que la dernière classe même eût aussi des assemblées et ses conseils ; il n’y en a point qui n’ait pris des arrêtés honorables, non-seulement pour assurer mon retour, mais encore pour le rendre le plus glorieux qu’il fût possible. Qu’est-il besoin de rappeler ces divines, ces immortelles décisions des villes municipales, des colonies et de l’Italie entière : décisions qui sont comme autant de degrés par lesquels il me semble que j’ai été élevé jusqu’au ciel, et non pas seulement ramené dans ma patrie ?

Mais surtout, quel jour, Lentulus, que celui où le peuple romain vous voyant proposer la loi de mon rappel comprit combien vous aviez de grandeur d’âme et de dignité ! jamais, dans aucune assemblée générale, le Champ de Mars n’avait offert un spectacle si brillant et si magnifique par la réunion de tant de citoyens de tout état, de tout rang et de tout âge. Je ne parle pas de ce concert, de cette unanimité des villes, des nations, des provinces, des rois, en un mot, de l’univers entier, dans leur jugement sur les services que j’ai rendus à tous les hommes. Quelle fut mon arrivée, mon entrée à Rome ? ma patrie me reçut-elle comme une lumière et un sauveur qu’on lui aurait rendu ou comme un tyran sanguinaire, ainsi que vous coutume de me nommer, vils associés de Catilina ? Oui, ce seul jour ou le peuple romain, m’accompagnant en foule, me conduisit avec tant d’allégresse, depuis la porte de la ville jusqu’au Capitole, et de là jusque dans ma maison ; ce seul jour me parut si beau, si glorieux pour moi, qu’au lieu de repousser vos violences criminelles, il me semble au contraire que j’aurais dû les acheter. Ainsi, mon malheur, s’il faut encore lui donner ce nom, est désormais au-dessus de vos outrages ; et personne n’osera plus critiquer mon consulat, justifié, comme il l’est, par tant et de si décisifs suffrages, tant de témoignages, tant d’autorités.

XXIX. Mais si vos insultes, loin d’avoir de quoi m’humilier, donnent un nouveau lustre à ma gloire, qui peut-il y avoir, qui peut-on imaginer de plus extravagant que vous ? Par ce seul outrage, vous convenez que j’ai sauvé deux fois la patrie : la première, quand j’ai fait ce qui, de l’aveu de tout le monde, mériterait l’immortalité, et la seconde, quand à votre violence et à celle des complices que vous aviez animés contre les bons citoyens, je n’opposai que ma personne, pour ne pas hasarder, en m’armant, la république que j’avais sauvée sans armes. Mon exil, direz-vous, n’a pas été la peine d’un crime, mais il a été l’effet d’une condamnation.