Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque l’existence, ce sont les causes où il s’agit d’abus de confiance, de tutelle, de société. Car c’est également une perfidie abominable de violer la foi promise, lien de la vie civile, de frustrer l’orphelin dont on a reçu la tutelle, et de tromper l’associé avec lequel on s’est uni d’intérêt. Dans cette situation, voyez quel est homme qui a frustré, qui a trompé son associé : sa vie passée va nous fournir un témoignage muet, mais sûr et authentique, pour ou contre lui. Q. Roscius, que dites-vous ? comme des charbons ardents qui s’éteignent et se refroidissent dès qu’on les a plongés dans l’eau, les traits les plus ardents de la calomnie, lancés sur la vie la plus pure et la plus innocente, ne tombent-ils pas, ne s’éteignent-ils pas à l’instant ? Roscius a trompé son associé ? un tel homme peut-il être soupçonné d’un tel crime ? Un homme qui, je le dis avec confiance, réunit dans sa personne encore plus de vertus que de talents, plus de vérité que de savoir, lui en qui le peuple romain admire l’homme plus que l’acteur ; qui honore le théâtre par son talent, autant qu’il honorerait le sénat par ses mœurs irréprochables. Mais qu’ai-je besoin de parler ainsi de Roscius devant Pison ? Il semble que je fasse l’éloge d’un inconnu. Est-il un homme au monde pour qui vous ayez plus d’estime ? En est-il un en qui vous reconnaissiez plus de pureté, plus de réserve, plus d’humanité, plus de dévouement pour ses amis, une âme plus généreuse ? Et vous, Saturius, qui parlez ici contre lui, avez-vous de lui une autre opinion ? Toutes les fois que son nom vous est venu à la bouche, dans cette cause, n’avez-vous pas dit que c’était un homme de bien ? Ne l’avez-vous pas nommé avec les marques de respect réservées aux personnages les plus honorables, ou à nos amis les plus chers ? Je vous ai trouvé alors d’une étrange inconséquence, de louer ainsi le même homme, en lui disant des injures ; de le traiter à la fois d’homme de bien et de scélérat ; de le nommer avec les égards et les éloges dus au vrai mérite, et de l’accuser d’avoir volé son associé. Mais, je le vois, cet hommage vous était dicté par la vérité, et l’accusation, par la complaisance. Vous faisiez l’éloge de Roscius d’après vous-même, et vous plaidiez la cause sous l’influence de Chéréa.

VII. Roscius a volé son associé : absurde imputation qui blesse à la fois les oreilles et les idées de tout le monde ! Quand même cet associé eût été quelque riche, timide, imbécile, inactif, incapable de soutenir un procès, la chose serait encore incroyable. Mais voyons, quel est l’homme victime de la fraude. Roscius a volé L. Fannius Chéréa. Je vous en prie et vous en conjure, vous qui les connaissez tous deux, comparez leur vie passée ; vous qui ne les connaissez pas, regardez-les en face l’un et l’autre : voyez Chéréa la tête et les sourcils rasés : cet extérieur ne sent-il pas la malice raffinée, et ne proclame-t-il pas la perfidie ? Depuis les pieds jusqu’à la tête (s’il est permis de juger les hommes sur leur extérieur muet), cet homme tout entier ne semble-t-il pas un composé de fraude, de supercherie et de mensonge ? Il a toujours la tête et les sourcils rasés, pour qu’on ne dise pas qu’il ait la moindre apparence d’un homme de bien. Roscius le représente souvent sur la scène, d’une manière admirable, et il était en droit d’en attendre plus de reconnaissance. Quand il joue le rôle de Ballion, cet infâme et parjure marchand d’esclaves, c’est Chéréa qu’il joue. Ce personnage ignoble, impur, odieux, c’est Chéréa, ce sont ses mœurs, c’est son caractère, c’est sa conduite ; et il ne peut avoir d’autre raison de croire que Roscius lui ressemble en