Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le malheur où l’injustice dont il a eu à souffrir.

IX. Puisqu’il en est ainsi, pourquoi, je vous le demande, n’avez-vous pas appelé Q. Boscius en arbitrage, comme votre associé ? Vous ignoriez la formule ? Elle est cependant bien connue. Vous ne vouliez pas exposer Roscius à un jugement grave pour son honneur ? Pourquoi ? À cause de votre ancienne liaison ? Pourquoi donc l’insultez-vous ? À cause de sa probité sans tache ? Mais pourquoi le calomniez-vous ? L’accusation vous paraissait grave ? En vérité ? Vous n’auriez pu le faire condamner par un arbitre à qui il appartenait de prononcer sur cette affaire, et maintenant vous le feriez condamner par le juge qui n’a point les pouvoirs d’un arbitre ? Fannius, portez votre plainte où elle peut être reçue, ou du moins ne la présentez pas ici mal à propos. Mais au surplus, cette plainte est anéantie par votre propre témoignage. Car du moment que vous n’avez pas voulu profiter de la formule dont je parle, vous avez laissé voir que Roscius ne pouvait être accusé comme associé. Il a fait un accord, dites-vous : avez-vous des registres, oui ou non ? Si vous n’en avez point, où est l’accord ? Si vous en avez, que ne les produisez-vous ? Dites maintenant que Roscius vous a prié de choisir un de ses amis pour arbitre : il ne vous en a pas prié. Dites qu’il a fait un accord pour se délivrer du procès : il n’a point fait d’accord. Demandez pourquoi il n’a pas eu à subir de jugement ? Parce qu’il était innocent et irréprochable. En effet, que s’est-il passé ? Vous venez de vous-même chez Roscius, vous lui faites satisfaction pour votre imprudente conduite ; vous le priez d’informer le juge de votre désaveu, et de vous pardonner ; vous déclarez que vous ferez défaut ; vous criez bien haut qu’il ne vous doit rien de la société : Roscius informe le juge ; il est délivré de toute poursuite. Et vous osez parler encore de vol et de fraude ? Il persiste dans son effronterie. C’est, répète-t-il, qu’il avait fait un accord avec moi. Apparemment pour n’être pas condamné. Mais pourquoi aurait-il craint d’être condamné ? La chose était manifeste, le vol était prouvé.

X. Et quel était ce vol ? Ici Saturius, d’un ton solennel entame le récit de la société formée au sujet du fameux histrion. Fannius, dit-il, avait un esclave nommé Panurge. Il le mit en communauté avec Roscius. Déjà Saturius se plaint bien fort que Roscius partage gratuitement la possession d’un esclave que Fannius seul avait payé de ses deniers. En effet, cet homme libéral, qui ne sait pas compter, cet homme d’une bonté prodigue, a fait présent de son esclave à Roscius. Je le crois. Mais puisque Saturius a un peu insisté sur ce point, je dois aussi m’y arrêter un instant. Vous dites, Saturius, que Panurge était la propriété de Fannius. Eh bien ! moi, je prétends qu’il était la propriété de Roscius seul. Qu’est-ce qui appartenait à Fannius ? son corps. À Roscius ? son talent. Sa figure n’était rien, le talent seul avait son prix. Ce qui appartenait de lui à Fannius ne valait pas cinquante mille sesterces, ce qui appartenait à Roscius en valait plus de cent mille. Car ce n’était pas son extérieur que l’on considérait ; on ne l’appréciait que par son mérite d’acteur. L’homme ne pouvait par lui-même gagner plus de douze as ; l’art que Roscius lui avait enseigné ne se payait pas moins de cent mille sesterces. Société frauduleuse et inique, où l’un ne met que