Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/84

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je soutiens tout le contraire de ce que vous dites : si Cluvius avait assuré la chose avec serment, ses paroles auraient moins d’autorité qu’elles n’en ont aujourd’hui, qu’il l’affirme sans avoir prêté serment ; car alors peut-être des gens sans honneur l’accuseraient d’une partialité passionnée, en le voyant se présenter comme témoin dans une affaire où il aurait paru comme juge. Maintenant aucun de ses amis ne pourra soupçonner ni corruption ni légèreté dans l’homme qui dit à ses amis ce qu’il sait. Prétendez encore, si vous y êtes autorisé par le moindre prétexte, que Cluvius a menti. Cluvius a menti ? Ici la vérité elle-même me retient et m’oblige à m’y arrêter un instant. Par qui a été conduite cette œuvre de mensonge ? Roscius est sans doute un homme fin et rusé ? Voici le raisonnement qu’il a fait dès le commencement. Puisque Fannius me demande cinquante mille sesterces, je prierai C. Cluvius, chevalier romain, homme d’une haute considération, de faire un mensonge pour moi ; de dire qu’il y a eu une transaction, bien qu’il n’y en ait pas eu ; que Flavius a donné cent mille sesterces à Fannius, quoiqu’il ne lui ait rien donné. Voilà le premier dessein d’un mauvais cœur, d’un mince génie et d’un esprit assez borné. Que fait-il ensuite ? Après s’être bien affermi dans sa résolution, il arrive chez Cluvius. Qu’est-ce que Cluvius ? Une tête légère ? Non, c’est la sagesse même. Un homme inconstant et mobile ? Il est d’une constance à toute épreuve. Un de ses amis ? À peine s’il le connaît. Après le premier salut, il lui expose d’un ton doux et gracieux l’objet de sa visite. Soyez assez bon pour mentir en ma faveur devant quelques hommes de bien, vos intimes amis. Dites que Flavius a transigé avec Fannius au sujet de Panurge, quoiqu’il n’ait pas transigé. Dites qu’il lui a compté cent mille sesterces, quoiqu’il ne lui ait pas donné un seul as. Que répond Cluvius ? Je ferai bien volontiers, et avec bien de l’empressement, ce que vous me demandez ; et si quelquefois un parjure peut vous être utile, n’oubliez pas que je suis à votre disposition. Vous n’aviez pas besoin de prendre tant de peine et de venir vous-même chez moi. Pour une semblable bagatelle, il suffisait de m’envoyer un messager.

XVII. J’en atteste les dieux et les hommes ! Roscius aurait-il jamais réclamé de Cluvius une telle complaisance, quand il se serait agi d’un million de sesterces ? Cluvius aurait-il consenti à une pareille infamie, au prix de la moitié du butin ? Vous-même, Fannius, de bonne foi, à peine oseriez-vous exiger d’un Ballion, ou de quelqu’un de son espèce, un semblable service, et vous ne sauriez l’obtenir de lui, tant votre demande serait contraire à toute justice et même à toute vraisemblance ! J’oublie en effet que Roscius et Cluvius sont des hommes de la première considération ; je les suppose un instant malhonnêtes par intérêt. Roscius a suborné Cluvius comme faux témoin : pourquoi si tard ? Pourquoi au moment de payer le second terme, et non avant d’acquitter le premier ? Car il avait déjà payé cinquante mille sesterces. Ensuite, si Roscius avait une fois persuadé Cluvius de mentir, pourquoi ne lui a-t-il pas fait dire que Fannius avait reçu de Flavius trois cent mille sesterces plutôt que cent mille, puisqu’il devait en revenir la moitié à Roscius, en vertu du nouveau contrat ?

Vous comprenez maintenant, Pison, que Ros-