Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/99

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sans cesse, « que Verrès vous a fait des injustices. » Je le crois : il ne serait pas vraisemblable que celui qui en a fait à tous les Siciliens, vous eût seul épargné. Mais les autres Siciliens ont trouvé un vengeur ; vous, en voulant poursuivre vous-même votre vengeance particulière, ce qui est au-dessus de vos forces, vous prenez le moyen d’empêcher qu’on ne venge aussi leurs injures, et vous ne comprenez pas qu’en pareil cas on examine non-seulement si vous devez, mais si vous pouvez tirer raison d’une injustice ; que celui qui réunit ces deux conditions mérite sans doute la préférence ; mais que, dans le cas contraire, on a moins d’égard à la volonté qu’à la capacité. Si vous croyez que le droit d’accuser appartient à celui qui a reçu de Verrès le plus d’outrages, pensez-vous que les juges seront plus touchés du tort que vous a fait Verrès, que de l’oppression et de la ruine de la Sicile entière ? Vous conviendrez, j’imagine, que ce crime est bien autrement grave et doit bien plus indigner tout le monde. Ne trouvez donc pas mauvais qu’on donne de préférence à la province le droit d’accusation ; car c’est la province qui accuse, quand l’affaire est poursuivie en son nom par celui qu’elle a choisi pour défendre ses droits, venger ses injures, plaider toute la cause.

XVII. Mais peut-être le tort que vous a fait Verrès est-il tel qu’il puisse émouvoir tous les cœurs pour le malheur d’un autre. Point du tout ; et il n’est pas indifférent de connaître la nature des crimes que vous lui reprochez, la source de tant d’inimitié. Je vais vous l’apprendre ; car Cécilius, certainement, à moins d’être complètement fou, ne vous le dira jamais. Il y a a Lilybée une certaine affranchie de Vénus Érycine, nommée Agonis ; cette femme, avant la questure de Cécilius, était très-riche et très-opulente. Elle s’était vu enlever injustement par un capitaine de vaisseau d’Antoine de jeunes musiciens, ses esclaves, que l’on voulait employer, disait-on, sur la flotte. Alors, selon le privilège qu’ont d’ordinaire, en Sicile, tous les esclaves de Vénus et tous ceux qui se sont rachetés de cet esclavage, croyant arrêter le capitaine en lui opposant le nom de cette divinité et la religion de son culte, elle dit qu’elle et tous les biens appartenaient à Vénus. Dès que cette nouvelle vient aux oreilles de Cécilius, de cet homme intègre et si plein d’équité, il mande près de lui Agonis, et nomme des juges pour examiner s’il était vrai qu’elle eût dit que sa personne et ses biens étaient la propriété de Vénus ; les juges prononcent comme ils le devaient ; car il n’y avait pas le moindre doute qu’elle ne l’eût dit. Le questeur déclare tous les biens de cette femme acquis à Vénus, elle-même esclave de cette déesse ; il met les biens en vente, et les convertit en argent. Ainsi, Agonis, en voulant sauver quelques esclaves à l’abri du nom de Vénus et de la sainteté de son culte, perd sa fortune et sa liberté, par l’iniquité du magistrat. Quelque temps après Verrès, vient à Lilybée, prend connaissance de l’affaire, désavoue ce qui s’est passé, et force son questeur à payer comptant à Agonis tout l’argent qu’il avait retiré des biens de cette femme. Jusqu’ici, et je vous en vois tout surpris, ce n’est point Verrès, c’est un autre Mucius. Que pouvait-il faire de mieux pour établir sa réputation, de plus équitable pour soulager l’infortune de cette malheureuse, de plus énergique pour réprimer les excès d’un questeur ? Rien de plus digne d’é-