Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/161

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hommes solides, fermes, constants ; il y en a peu, et il n’est pas aisé de les connaître sans en avoir fait l’épreuve : or, cette épreuve ne peut se faire que dans l’amitié même. Ainsi la liaison se forme avant que d’avoir pu s’éprouver, et le choix fait, il n’y a plus d’examen. Il est donc prudent de comprimer le premier essor de notre bienveillance, comme on retient la course d’un char avant d’en avoir essayé les chevaux(18) et de ne nous livrer à l’amitié qu’après avoir éprouvé de quelque manière le caractère de nos amis. Pour découvrir leur faible, souvent le plus mince intérêt pécuniaire suffit ; une somme plus considérable en démasquera d’autres. Mais s’il en est quelques uns qui regardent comme une chose honteuse de préférer l’argent à l’amitié, en trouvera-t-on beaucoup qui la préfèrent aux honneurs, aux magistratures, au commandement des armées, à la puissance, à l’autorité ? Quand ils verront, d’un côté, ces objets éclatants de leur ambition, de l’autre, les droits de l’amitié, croyez-vous qu’ils balancent ? La nature est trop faible pour résister aux attraits du pouvoir ; et lorsqu’il n’en coûte, pour y atteindre, que de sacrifier ses amis, on se persuade aisément que le succès porte son excuse avec soi. Aussi est-il bien difficile de trouver de vrais amis dans ceux qui se livrent aux affaires publiques, et qui courent la carrière des honneurs. Où trouver celui qui préfère l’élévation de son ami à la sienne propre ? Mais quoi ! sans parler de ces rivalités, combien peu sont capables de partager avec un ami le poids de ses malheurs ! Ennius a dit cependant avec raison :

Quand la fortune change, on voit l’ami fidèle.

Mais il n’en est pas moins vrai que les deux plus grands