Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/175

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ment que la nature nous donne. Si le même désintéressement n’existe pas dans l’amitié, il n’y a point de véritable ami ; car notre ami est un autre nous-même. Que si nous voyons tous les animaux, ceux qui peuplent les airs, la terre ou les mers, ceux qui sont devenus domestiques ou qui sont restés sauvages, d’abord s’aimer eux-mêmes (car c’est un instinct qui naît avec l’animal), ensuite désirer et rechercher ceux de leur espèce pour vivre avec eux, et cela par une espèce d’amour qui a quelque ressemblance avec le nôtre : combien plus ce penchant est-il dans la nature de l’homme, qui non seulement s’aime lui-même, mais qui trouve un autre homme, dont l’âme se confond tellement avec la sienne, que de deux elles n’en font presque qu’une seule ?

XXII. Mais une injustice, pour ne pas dire une impudence bien commune parmi les hommes, c’est de vouloir que leurs amis soient tels qu’ils ne sauraient être eux-mêmes, et d’en exiger ce qu’eux-mêmes ne font pas. La raison veut que nous commencions par être hommes de bien, et qu’ensuite nous cherchions qui nous ressemble. Ce n’est qu’entre des hommes vertueux que peut s’établir cette constance en amitié dont nous parlons déjà depuis long-temps : unis par la bienveillance, maîtrisant les passions dont les autres sont esclaves, amis de l’équité et de la justice, ils seront toujours prêts à faire tout l’un pour l’autre, ne se demanderont que des choses justes et honnêtes, et se témoigneront ainsi, non seulement de la déférence et du zèle, mais du respect ; car bannir le respect de l’amitié, c’est lui faire perdre le plus beau de ses ornements. Ceux-là donc sont dans une funeste erreur, qui pensent que l’amitié favorise le libertinage et tous les genres de désordres. Elle nous a été donnée par la nature pour être le support