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DE LA VIEILLESSE.

vous trouverez que les plus grandes républiques ont été ruinées par les jeunes gens, et soutenues ou rétablies par les vieillards :

Quel revers a si tôt détruit votre puissance ?

À cette question, comme dans la pièce du poète Névius, entre autres réponses, on fera surtout celle-ci :

Des jeunes orateurs accusez l’imprudence.

En effet, la témérité appartient surtout au jeune âge, comme la prudence à la vieillesse.

VII. Mais, me dira-t-on, la mémoire s’affaiblit[1]. Je le crois, si on ne l’exerce pas, ou si elle est naturellement ingrate. Thémistocle avait retenu les noms de tous ses concitoyens : pensez-vous qu’en avançant en âge il lui soit arrivé souvent de saluer Lysimaque pour Aristide ? Moi-même, je ne connais pas seulement chacun de nos concitoyens aujourd’hui vivants ; je sais encore quel était son père, son aïeul ; et je ne crains pas, en lisant leurs épitaphes(10), d’en perdre, comme on dit, la mémoire : cela ne fait, au contraire, que me rappeler leur souvenir. Je n’ai jamais ouï dire qu’entre tous les vieillards un seul ait oublié l’endroit où il avait caché son trésor(11). Ils se sont toujours souvenus des objets de leurs soins, des échéances de leurs dettes, des noms de leurs débiteurs, de ceux de leurs créanciers. Combien de jurisconsultes, de pontifes, d’augures, de philosophes qui, dans un grand âge, ont conservé une excellente mémoire ! Le génie n’abandonne pas les vieillards, pourvu qu’à leur tour ils n’abandonnent ni

  1. « La vieillesse attache plus de rides à l’esprit qu’au visage. » Montaigne.