Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/371

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femme par le mariage, le lien de tous les liens le plus fort, il ne saurait plus se séparer d’elle ni de sentiments ni de pensées ; et au milieu de tant de soins divers dont son esprit est agité, que peut-il produire ou même imaginer de bon et de grand ? je le demande. Pour moi, je m’étonne qu’il ne se décourage pas, et qu’on ne le voie pas succomber sous le poids d’un malheur sans espérance. J’ai déjà dit qu’entre tous ceux qui respirent il n’y en a aucun qui ne soit misérable, ou que personne ne jouit d’un vrai bonheur, et il faut être bien, peu sage pour oser appeler heureux l’homme, né, comme il l’est, pour expier ses crimes ; car ce que nous nommons la vie est une véritable mort : notre âme ne commence à vivre que lorsque, dégagée et libre des entraves du corps, elle participe à l’éternité ; et les anciennes traditions nous apprennent que la mort a été accordée par les dieux immortels comme une récompense à ceux qu’ils aimaient. Ainsi nous lisons dans Hérodote qu’une prêtresse d’Argos(4), ayant demandé pour ses fils à sa déesse ce qui leur serait le plus avantageux, elle les trouva morts ; et elle apprit que la mort leur avait été accordée comme le plus grand bien. Croyons-en aussi Apollon de Delphes : Trophonius et Agamède lui ayant bâti un temple à Delphes même, moururent trois jours après lui avoir adressé la même prière ; et ce dieu, le seul de tous qui ait le secret de l’avenir, fit voir par là que la mort est le plus heureux des événements qui puissent arriver à l’homme[1]. Que l’on renonce donc absolument et pour toujours à l’erreur de croire que la mort est un mal, puisqu’au jugement des dieux eux-mêmes, non seulement elle n’est pas un mal, mais que c’est un bien qui surpasse tout ce qu’ils peu-

  1. Tusculanes, I, 47.