Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/409

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et de fermeté. Le courage que j’exige de l’homme est celui qui le fait commander à sa douleur et à ses désirs, comme un maître à son esclave, et qui lui donne la force de la réprimer et de la retrancher, comme une partie de lui-même corrompue et malade. S’il la laisse s’accroître et se fortifier, non seulement elle s’élèvera au-dessus de la raison, mais elle s’en rendra maîtresse et en triomphera ; ce qui sera le comble de la honte et du malheur.

L’orateur Gorgias(13), accablé sous le poids des années, touchait à sa dernière heure ; on lui demanda s’il mourait sans regret : Dites avec plaisir, répondit-il ; car c’en est un très grand pour moi de quitter une aussi triste et aussi misérable demeure. Voilà ce que j’appelle un homme, et des paroles dignes d’être gravées dans la mémoire de tous les siècles. Pouvait-il mieux exprimer l’ennui que lui causaient les misères attachées à cette vie, et la joie qu’il avait d’en voir arriver la fin ? Ce langage ne saurait être que celui d’un homme qui a dompté ses passions, sur qui la volupté n’a point de prise, et à qui la cupidité ne demande plus rien. C’est, dis-je, en cela que consiste la supériorité de la raison et de la sagesse : régler ses besoins sur la nécessité, ne point se laisser vaincre à la douleur, réformer ses désirs et ne point craindre les accidents humains. Nous sommes inconsolables de la mort de nos enfants ou de nos parents : pourquoi cela ? Vaut-il mieux imiter les fous, dont l’esprit faible ne peut supporter ces événements qu’il est impossible d’éviter, et qui fondent sur nous malgré nous, que les sages qui nous ont transmis tant de monuments de leur constance ? N’est-ce pas nous