Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/433

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non pour l’amour de nos amis et de nos parents ? notre douleur est donc mercenaire ? elle ne vient donc, ni de la proximité du sang, ni de notre bienveillance pour autrui ? elle ne part donc que de notre intérêt ? Or, il n’y a rien de plus humiliant et de plus indigne que d’être obligé d’avouer qu’on n’est si fort affligé de la mort de quelqu’un, qu’à cause de l’utilité qu’on retirait de sa vie, et que, hors de cette considération, on n’en éprouverait aucune douleur.

Examinons présentement de quelle manière se sont comportés, non des Perses ou des Scythes, mais les plus grands personnages et les plus illustres citoyens de notre république. Ils ont souffert la perte de leurs meilleurs amis et de leurs enfants les plus chers, avec tant de courage et de constance, qu’on peut les comparer et même les préférer à ces Grecs que je comblais d’éloges il n’y a qu’un instant ; et, ce qu’on doit remarquer de plus admirable en eux, c’est que ceux à la mort de qui leur constance et leur courage ont éclaté, outre qu’ils leur étaient utiles, faisaient toute leur espérance et toute leur consolation. En effet, qu’y a-t-il au monde de plus précieux et de plus cher à un père qu’un fils et un fils unique ? C’est cependant ce que perdit Q. Fabius(22) : il faut ajouter même que ce fils unique était consulaire, qu’il avait exécuté de grandes choses, et qu’il en projetait encore de plus grandes. Q. Fabius ne se plaignit point, ce qui est déjà la marque d’une âme ferme. Mais c’était peu : il se chargea de faire l’éloge funèbre de ce fils, et il le prononça en présence de tout le peuple assemblé ; action du courage le plus mâle et le plus louable dont il y ait mémoire dans toute l’antiquité. On est encore étonné de l’esprit, du jugement et de l’ordre qui règnent dans ce discours.