Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/445

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Est-il donc au monde quelque objet qui nous doive être assez précieux ou assez cher pour que sa perte entraîne celle de notre prudence ? Pour peu qu’il nous en reste, elle nous doit faire souvenir de la vertu de nos pères et de nos aïeux ; et quand nous penserons aux Pisons, aux Fabius, aux Brutus, aux Marcellus, elle remettra devant nos yeux les modèles que nous devons suivre, en même temps que les images de ceux dont l’héritage nous est transmis. Ce sont ces grands hommes qui ont étendu les frontières de notre république ; c’est au prix de leur sang que la liberté nous a été acquise et qu’elle s’est affermie ; c’est par leurs travaux et par leurs veilles que cet état est parvenu au plus haut point de la gloire militaire ou civile ; c’est sur leurs traces que doivent marcher ceux qui cherchent à se faire estimer, à s’exercer à la vertu par de nobles actions, et à se guérir des préjugés qui nous mènent à la folie par un excès de sensibilité. J’ai nommé plusieurs grands hommes parmi les étrangers ; j’en ai cité un plus grand nombre d’entre les nôtres qui non seulement n’ont pas eu de répugnance pour la mort, mais qui l’ont désirée et vue avec une sorte de plaisir. On peut ajouter à ceux-là Théramène(33), qui, après avoir bu de sang-froid la coupe empoisonnée, se faisant un jeu de la mort, et gardant une inébranlable fermeté, fit une libation de ce qui restait dans la coupe, et salua le beau Critias. Si cet homme illustre et sage se jouait ainsi dans la mort même, pleurerons-nous à la mort de nos enfants et de nos proches ? Si nous lisons tous les jours, si nous retenons fidèlement, si nous admirons ce que les anciens ont dit, rejetterons-nous ce qu’ils ont fait, ou ne tiendrons-nous aucun compte de la vie qui suivra notre mort, de cette vie immortelle, exempte de tous les maux et de toutes les douleurs !