Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/449

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tion de toute sa race, et essuyé lui-même les plus cruels revers, n’était pas tombé sous le fer ennemi. Si la mort les eût enlevés plus tôt, elles les eût dérobés à beaucoup d’infortunes et de misères. Ils ont éprouvé ce triste sort, parce que leur vie a été plus longue que ne demandait leur bonheur. De là ces plaintes lugubres :

 J’ai vu dans Ilion en flammes
Priam expirer sous le fer,
Et souiller de son sang l’autel de Jupiter.

Ces horreurs dont le récit seul nous inspire la tristesse et l’effroi, quel supplice n’a-ce pas été pour ce malheureux prince de les voir, de les entendre, de les souffrir ? N’eût-il pas mieux valu pour lui qu’il eût terminé ses jours plusieurs années avant cette funeste catastrophe ? Quelqu’un dira peut-être qu’il aurait perdu par une mort plus prompte la jouissance de plusieurs avantages que la vie lui procurait ; mais on lui répondra qu’il aurait été exempt de maux bien plus nombreux et plus terribles, tels qu’on n’en a pas vu pendant plusieurs siècles. Il est donc évident, par cet exemple et par une infinité d’autres, que les hommes prennent le change sur ce qui est le fondement de leur félicité, lorsqu’ils séparent de la mort ce qu’elle a d’utile, ou lorsqu’ils n’y trouvent rien que de fâcheux. À combien d’angoisses et de misères n’arracha-t-elle pas L. Crassus(35), ce personnage si illustre et si éloquent ? Aimant sa patrie comme il l’aimait, il est inconcevable combien il aurait souffert de la voir en proie à tous les fléaux qu’elle essuya depuis, les ravages de la guerre qui désola l’Italie, la haine qui voulut rendre le sénat responsable de tant de maux, toutes les parties du gouvernement soumises à la funeste influence de ces temps de calamités, la fuite de Marius, les horreurs