Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/455

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s’oublia presque lui-même. C’est ce qu’on vit surtout lorsqu’à de vieilles légions accoutumées à la fatigue il opposa des troupes nouvellement levées et ramassées à la hâte, des troupes sans force et sans expérience. Après la défaite de son armée et la prise de son camp, vaincu, couvert de honte, et réduit à fuir, ce même homme, naguère si grand et si illustre, tomba entre les mains et à la merci d’esclaves. Il est inutile d’entrer dans le détail de la manière dont la vie lui fut ôtée, puisque le moindre malheur qui pût lui arriver dans cet état humiliant, était de la perdre au plus tôt. Je le répète donc, il serait mort très heureux, si, dans le temps que tout lui riait, qu’il avait tout pouvoir dans la république, qu’il surpassait tous ses égaux en faveur, qu’il était aussi puissant que riche, il eût trouvé la fin d’une vie dont la prolongation lui causa plus de traverses et de chagrins qu’il n’est possible de le décrire, et même de le penser. Persuadés de cette vérité, que la mort est souvent un bien pour l’homme, autant parce qu’elle nous délivre des misères présentes ou à venir, que parce qu’elle nous introduit dans une vie heureuse, qu’est-ce qui nous retient de nous réjouir quand elle arrive ; et, à l’égard de celle des autres, d’imiter les grands hommes qui n’en ont jamais été troublés ? Est-ce que L. Brutus ne jugeait pas la mort très bonne et très heureuse, quand il exposait si volontiers sa vie pour empêcher le tyran de rentrer dans Rome, d’où il l’avait chassé ? Les Décius pensaient-ils autrement, lorsqu’en combattant contre les Latins ils tenaient si peu de compte de la leur ? Scipion, Paullus, Marcellus, Albinus, qui tant de fois se sont mis au hasard de la perdre pour sauver leur patrie, faisaient-ils plus de cas de cette existence passagère ? Après