Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/459

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ancêtres, et qui les a insensiblement conduits à un tel degré d’indifférence, qu’ils ne se soucient ni de connaître la vérité, ni de discerner la justice dans chaque parti qu’ils ont à prendre : cette indifférence est l’état le plus pernicieux où l’humanité, déjà fort affaiblie, puisse tomber. Je dis donc que, si la comparaison du sommeil a jamais eu une application juste à quelqu’un, c’est surtout aux hommes que je viens de dépeindre ; que font-ils, en effet, que de perdre tout leur temps par leur indolence, que de vivre de manière qu’ils semblent dormir ? Mais celui qui dort ne sent rien, n’agit point, ne s’embarrasse de quoi que ce soit. On n’imagine pas non plus que celui qui est mort soit capable d’agir, de sentir, et de se soucier de quelque chose ; et c’est la raison pour laquelle, selon les récits que nous lisons dans les fables, les dieux immortels ont quelquefois envoyé un sommeil profond à leurs favoris, pour les empêcher de s’apercevoir de quelque grande calamité dont le sentiment aurait été pénible pour eux. Si donc nous nous revêtons toutes les nuits de la mort, puisque la mort est une espèce de sommeil et que le sommeil ne nous laisse aucun sentiment, nous devons conclure que la mort ne nous en laissera pareillement aucun. Et comme cette vérité nous devient certaine par la perception que nous en avons, nous pouvons par la même voie nous tenir assurés de l’autre : tels que nous étions avant notre naissance, tels nous sommes après notre mort. De même que la mort n’avait aucun pouvoir sur nous avant que nous fussions au monde, ainsi elle n’en aura aucun quand nous n’y serons plus. Quant à celui qu’elle exerce sur le mourant, il est de si courte durée, qu’il est presque égal à rien, et qu’il est impossible, malgré tous ses efforts, qu’elle l’étende ou le prolonge.