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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/495

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cerner ce qui est de bienséance, pour faire ce qui est du devoir, et s’abstenir de ce qui n’en est pas.

Ce discernement est l’affaire de la prudence, qu’on ne saurait nier avoir été établie par les dieux immortels pour juger et pour régler les actions des hommes. Or, je dis que c’est résister et mettre obstacle à cette admirable et divine vertu, que de se livrer ainsi sans réserve à la douleur ; c’est se consumer inutilement et sans fruit en larmes ; c’est manquer entièrement de raison et de jugement : car, peut-il y avoir de la raison à se laisser emporter par la douleur ? peut-on prétendre à la fermeté, à la constance, et demeurer abattu par la tristesse que l’on condamne ? n’est-ce pas abdiquer l’humanité que de vouloir absolument n’avoir rien de commun avec la mort ? Enfin, c’est le comble de la folie que de se croire exempt d’un tribut que le reste des hommes paye sans murmure. En effet, qui pourrait ignorer l’affinité et la ressemblance qu’il y a entre les hommes ? Si cela n’était pas, aucun motif n’engagerait les uns à aider les autres de leurs conseils, de leurs biens, de leur crédit, ni à les défendre contre les violences ou contre les injustices de leurs ennemis,. C’est pourtant ce que nous voyons tous les jours arriver ; et si quelqu’un se dispensait de ces bons offices, on ne se contenterait pas de le désapprouver, on le taxerait hautement d’inhumanité et de barbarie. Nous ne sommes pas les uns à l’égard des autres des figures de marbre ou de bois ; nous avons au fond de nous-mêmes quelque chose qui excite en nous la pitié et la compassion, et qui ne permet pas que la volonté de secourir et de faire du bien, qualité qui nous approche des dieux, s’éteigne en nous. Cette qualité est si naturelle et si propre à l’homme, que, toutes les fois qu’il