Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/519

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vertu des grands hommes ; mais on voudrait que cette vertu eût assez de force pour changer leur nature ; et c’est ce qui donne matière à plusieurs difficultés entre les savants, comme on devait infailliblement s’y attendre. On leur a répondu que la nature n’était point changée par la vertu, que ce changement ne pouvait arriver qu’en supposant la corruption de la nature primitive, et qu’une telle altération n’était pas nécessaire, puisque le corps subsistant, l’âme s’envolait dans le sein des dieux, auxquels elle se réunissait, étant immortelle comme eux, et que le corps, mortel par sa nature, demeurait à la terre, ce qui est mortel et terrestre ne pouvant en aucune manière cesser d’être ce qu’il est pour se changer en quelque autre substance.

Quoique cette question passe pour être très obscure, et qu’il ne soit pas fort aisé de l’expliquer[1] ; cependant, à moins que l’on ne veuille mettre la raison en conflit avec les autorités, je pense l’avoir suffisamment éclaircie : et comme, dans ce qui a rapport à cette question, je prétends ne rien omettre des choses principales et qui méritent d’être sues (c’est là du moins mon intention), je ne dois pas oublier combien de vertus ont été divinisées dans la vue d’instruire les hommes. Le but de cette consécration des vertus a été l’utilité publique ; on a voulu que les hommes, voyant de quels honneurs elles ont été décorées, s’attendissent à des honneurs semblables, s’ils se rendaient recommandables par les mêmes vertus. En cela il y a beaucoup à attendre de l’imitation, par la raison que l’on imite volontiers les

  1. La phrase latine est copiée sur celle-ci : « Hæc fere dicere habui de natura deorum, non ut eam tollerem, sed ut intelligeretis, quara esset obscura, et quam difficiles explicatus haberet. » De Nat. deor., III, 30.