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DE LA VIEILLESSE.

mort, ou ce sentiment est désirable, ou il n’existe point. Dès l’adolescence, nos méditations doivent se porter sur le mépris de la mort. Sans cela, il est impossible d’avoir l’esprit tranquille. Il est certain que nous devons mourir, et incertain si ce ne sera pas ce jour même. Or, craindre ce qui peut arriver à toute heure, est-ce vivre ? Une longue discussion à ce sujet me paraît superflue, lorsque je me rappelle non seulement L. Brutus[1], qui sacrifia sa vie pour la liberté de son pays ; les deux Décius, qui coururent de toute la vitesse de leurs chevaux à une mort volontaire ; Régulus, qui alla souffrir tous les supplices pour tenir la parole donnée à l’ennemi ; les deux Scipions(28), qui voulurent fermer de leur corps le chemin de Rome aux Carthaginois ; non seulement L. Paullus, votre aïeul, qui paya de sa mort la témérité de son collègue à l’ignominieuse journée de Cannes ; M. Marcellus, à qui son plus cruel ennemi même ne voulut pas refuser les honneurs de la sépulture ; mais des légions entières de soldats romains, qui, comme je l’ai consigné dans mes Origines, partirent tant de fois d’un cœur déterminé et content pour le poste d’où elles savaient qu’elles ne reviendraient pas. Ce qu’ont méprisé des jeunes gens ignorants, grossiers, des vieillards éclairés le redouteraient-ils ? Je suis frappé surtout de cette vérité morale, que la satiété de tous les goûts et de tous les désirs fait la satiété de la vie. L’enfance a ses goûts particuliers : peuvent-ils être ceux des jeunes gens ? La première jeunesse a les siens : sont-ils les mêmes que les goûts de l’âge viril ? Ceux-ci ne sauraient convenir à la vieillesse, qui a les siens propres. Les goûts de ce dernier âge se perdent à leur tour comme ceux des âges

  1. Celui qui chassa Tarquin.