Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/172

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dans les esprits ; ou bien encore lorsque l’auditoire est fatigué par l’attention qu’il a déjà prêtée à ceux qui ont parlé avant nous. Si la cause a quelque chose de honteux, voici comment nous pourrons commencer : C’est la chose et non pas la personne, ou bien la personne et non pas la chose qu’il faut considérer : nous sommes bien loin d’approuver les faits allégués par nos adversaires ; ils sont indignes, ils sont odieux. Puis, lorsque nous aurons développé cette idée pendant longtemps, nous prouverons qu’il n’y a rien eu de pareil dans notre conduite ; ou nous nous appuierons d’un jugement prononcé par un autre tribunal dans une cause analogue ou tout à fait semblable, dans une moins importante ou plus grave encore. Nous arriverons ensuite insensiblement à la nôtre, et nous ferons voir en quoi elle ressemble à celle que nous venons de citer. Nous déclarerons aussi que notre intention n’est pas d’attaquer la personne de nos adversaires tout en restant dans la cause. Cependant, et malgré cela, nous en traiterons d’une façon détournée par quelques mots jetés comme au hasard. Si notre adversaire avait persuadé les auditeurs, c’est-à-dire que son discours eût produit la conviction, ce qu’il nous sera facile de reconnaître, puisque nous savons les moyens qui la déterminent ordinairement, nous nous insinuerons dans la cause de la manière suivante : Nous promettrons de parler d’abord de ce que nos adversaires ont regardé comme l’invincible argument de leur cause ; ou bien nous commencerons par attaquer quelques-unes de leurs assertions, et surtout la dernière ; ou nous paraîtrons ne pas savoir par laquelle nous devons débuter, nous demandant avec embarras quelle est celle que nous réfuterons la première. Enfin, si l’attention de l’auditeur est fatiguée, nous essayerons d’abord de la réveiller par quelque chose qui puisse exciter le rire, un apologue, un conte, une citation forcée, une inversion, ou une équivoque, une conjecture, un sarcasme, une naïveté, une hyperbole, un rapprochement, un changement de lettres : ou bien encore nous piquerons la curiosité au moyen d’une comparaison, d’une bizarrerie ; en citant une anecdote, un vers ; en profitant d’une interpellation, d’un sourire approbateur. Nous pourrons promettre aussi de répondre autrement que nous n’y étions préparés ; de ne pas nous exprimer comme les autres ont l’habitude de le faire ; et nous montrerons en quelques mots en quoi consiste leur manière et la nôtre.

VII. Voici quelle est la différence entre l’exorde par insinuation et le simple début. Dans ce dernier, nous devons employer, dès l’abord, les moyens que nous avons prescrits pour nous concilier la bienveillance, l’attention et l’intérêt de l’auditeur ; tandis que, dans le premier, nous cachons et dissimulons notre marche pour arriver au même but, et nous faire obtenir les mêmes avantages. Sans doute l’orateur doit se proposer, dans toute la suite de son discours, d’atteindre un triple but, c’est-à-dire de captiver continuellement les auditeurs, de se les rendre favorables, bienveillants ; mais c’est surtout dans l’exorde qu’il doit s’assurer cette bienveillance. Maintenant, je vais t’enseigner à éviter les défauts, qui pourraient déparer ton exorde. Lorsqu’on commence un discours, il faut avoir soin de donner de la douceur à son débit et de la simplicité à son langage, afin que rien ne sente l’apprêt. L’exorde n’est pas bon lorsqu’il peut convenir également à plusieurs causes ; c’est celui qu’on appelle banal ; il en est de même, lorsque votre adversaire peut l’employer aussi bien que vous ; c’est l’exorde vulgaire ; ou bien encore, s’il suffit de légers changements pour