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VIE DE CICÉRON.


Le 3 janvier de l’an 647 de Rome (107 ans avant l’ère chrétienne), Marcus Tullius Cicéron naquit près d’Arpinum, ville municipale du Latium, déjà célèbre pour avoir donné naissance à Marius, et que sa fidélité envers Rome y avait fait agréger, dans les comices, à la tribu Cornélia. Helvia, sa mère, qui, au rapport de Plutarque, le mit au monde sans douleur, soutenait par ses vertus l’illustration de son nom, qui était celui d’une des premières maisons de la république. L’origine de Cicéron serait plus illustre encore si, comme il a plu à certains auteurs, il était possible de le faire descendre d’un roi des Volsques ; mais cette opinion n’a pas plus de fondement que celle qui lui donne pour père un foulon. La superstition de ses admirateurs se plut aussi à entourer son berceau de prodiges, et Plutarque, le naïf écho de ces croyances populaires, parle d’un génie qui apparut à sa nourrice, et lui dit que l’enfant qu’elle allaitait serait un jour la gloire de Rome.

Cicéron, qui s’est plus d’une fois moqué des prétentions à une haute noblesse, ne fait pas remonter au delà de son aïeul le peu de renseignements qu’il a laissés sur sa famille ; réserve où l’on a voulu voir l’intention de s’en faire regarder comme le fondateur, et même, en la supposant royale, de flatter ainsi les Romains dans leur aversion pour le nom de roi. Il en a toutefois assez dit sur la condition de ses ancêtres pour qu’on sache qu’ils avaient reçu, avec le droit de cité à Rome, le titre de chevaliers ; et que, faute d’ambition, mais non de mérite, ils n’y vinrent briguer les honneurs d’aucune magistrature ; préférant à l’éclat qu’on leur y promettait leur solitude d’Arpinum, embellie par la culture des lettres, et d’où ils entretenaient d’honorables relations avec les principaux citoyens de la république. Dans la seule occasion qu’eut le grand-père de Cicéron de parler devant le peuple romain, contre les innovations tentées dans sa petite ville par un Gratidius son beau-frère, il déploya une si mâle éloquence, que le consul Scaurus s’écria en pleine assemblée : « Plût aux dieux que Cicéron voulût consacrer avec nous tant de vertus et de talents aux intérêts de l’Etat, plutôt qu’à ceux d’un municipe ! » Le vieux Cicéron reprit le chemin d’Arpinum, heureux de ce qu’un tel suffrage s’adressait surtout à sa vertu ; car c’est de lui cette sentence recueillie par Caton : « Que plus les hommes savent bien dire, et moins ils savent bien faire. »

Cicéron reçut, au sein de sa famille, avec son frère Quintus, de trois ans plus jeune que lui, les principes d’une éducation forte, sous les yeux de cet aïeul que Rome enviait à un petit canton de l’Italie, et sous ceux de son père, homme d’un grand savoir acquis au prix de sa santé. Dès cette époque, il étonnait ses maîtres par un esprit vif, pénétrant, facile, que ne rebutaient les éléments d’aucune connaissance. On pouvait deviner déjà la vaste intelligence qui devait plus tard les embrasser toutes.

Après cette première institution domestique, son père le conduisit à Rome, où il n’était bruit que des triomphes accumulés et des six consulats de Marius, cet autre enfant d’Arpinum. Les relations de sa famille avec les plus grands personnages de la république, lui ouvrirent la maison du célèbre jurisconsulte C. Aculéon, beau-frère de sa mère ; de l’orateur M. Antoine, ami particulier de son oncle Lucius ; de M. Æm. Scaurus, chef du sénat ; de Q. Mucius Scévola, l’augure ; de Strabon ; de Q. L. Catulus, qui partagea avec Marius la gloire d’avoir vaincu les Cimbres ; de Cotta, de L. César, de Caton, de P. L. Crassus, illustres consulaires, orateurs fameux, tous amis de son père, et dont le dernier, le plus célèbre de tous, se chargea de diriger son éducation.

Il fut confié aux soins d’un maître grec, dans la maison même de Crassus, ouverte aux savants de la Grèce et de Rome, et aux élèves qu’y attirait leur réputation. Le jeune Marcus se distingua bientôt entre tous, et sa supériorité lui valut, de la part de ses condisciples, de singuliers témoignages d’admiration. On les voyait, jusque dans les rues, le placer par honneur à leur tête, et lui faire cortège. Rentrés chez eux, ils racontaient des choses si merveilleuses de cette précoce intelligence, que leurs parents, d’abord incrédules à ces récits, allaient, à l’heure des leçons, en vérifier l’exactitude, et surprendre ainsi les premiers indices de cette gloire naissante. Mais déjà ces leçons ne suffisaient plus à son ardeur. Plotius, rhéteur célèbre, venait d’ouvrir une école d’éloquence latine : Cicéron voulut y courir. Crassus s’y opposa, jugeant les Grecs plus capables de le former pour la carrière du barreau, à laquelle le destinaient les espérances de sa famille. Il lui fut seulement permis d’étudier sous le poète Archias, qui s’était depuis peu fixé à Rome ; et sa jeune imagination, tournée aussitôt vers la poésie, tira d’une tragédie d’Eschyle le sujet d’un poème qui subsistait encore au temps de Plutarque, et dont l’auteur avait à peine treize ou quatorze ans. On rapporte aussi à cette époque la composition d’un Traité