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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/238

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efforcé, par mon zèle et par mon travail, de ne pas être le moins instruit de mes concitoyens dans l’art militaire. » Si l’orateur avait dit, le plus instruit de tous, eût-il dit vrai, on l’aurait accusé d’arrogance. De cette manière, au contraire, il a dit ce qu’il fallait pour éviter le reproche d’orgueil, et pour se rendre recommandable. — Autre exemple : « Est-ce donc l’avarice ou le besoin qui l’a poussé vers le crime ? L’avarice ! mais il s’est montré prodigue envers ses amis ; et cette libéralité ne s’allie point à l’avarice. La pauvreté ! mais son père (je ne veux rien exagérer) ne lui a pas laissé un mince héritage. » Ici l’orateur évite encore de dire un riche ou un très riche héritage. Telle est la précaution que nous devrons prendre quand nous aurons à parler de nos avantages ou de ceux dont nous défendrons la cause. Car ces éloges qui blessent dans le commerce de la vie, ne sont pas moins odieux dans le discours, si l’on n’y met pas de la discrétion. Dans la société, l’on évite de déplaire par la circonspection ; dans le discours, on se met à l’abri de l’envie par la mesure.

XXXIX. On appelle Description une figure qui présente un tableau clair, frappant, énergique des circonstances et des suites d’un fait. Par exemple : « Si votre sentence, juges, rend cet homme à la liberté, aussitôt, semblable à un lion sorti de son antre, ou à une bête farouche qui a brisé ses chaînes, il s’élancera dans la place publique, la parcourra dans tous les sens, aiguisant ses dents cruelles, attaquant toutes les fortunes ; se jetant sur ses amis et sur ses ennemis, sur ceux qu’il connaît comme sur ceux qu’il ne connaît pas ; ravissant la réputation des uns, menaçant la vie des autres, violant l’asile de nos maisons, portant le trouble dans toutes nos familles et le ravage dans la république entière ! Chassez-le donc de Rome, juges, délivrez-nous de la frayeur qu’il nous inspire, songez enfin à votre propre salut. Car, si vous le renvoyez impuni, c’est une bête farouche et dévorante que vous déchaînez, croyez-moi, contre vous !… » Ou bien : « Si vous portez contre cet homme une sentence funeste, juges, vous ôtez la vie par un seul arrêt à un grand nombre de personnes. Un père accablé d’années, qui fondait sur la jeunesse de son fils toute l’espérance de sa vieillesse, n’aura plus de motifs qui le retiennent à la vie. Des enfants en bas âge, privés du secours de leur père, resteront exposés sans défense aux outrages et aux dédains des ennemis de leur famille. Toute une maison tombera sous le poids de cet horrible malheur ; et aussitôt ses adversaires, fiers de cette palme sanglante, de cette cruelle victoire, insulteront à sa misère, et la poursuivront sans pitié, en action et en paroles. » — Autre exemple : « Aucun de vous, Romains, n’ignore les malheurs qui fondent d’ordinaire sur une ville prise d’assaut. Ceux qui ont porté les armes, sont aussitôt cruellement égorgés ; ceux à qui leur âge et leurs forces permettent de supporter le travail sont traînés en esclavage ; ceux qui en sont incapables sont mis à mort ; en même temps, les maisons sont incendiées par les vainqueurs ; ils séparent ceux qu’avaient unis la nature ou les liens de l’amitié ; les enfants sont arrachés des bras de leur famille ; les uns sont égorgés sur le sein de leurs mères, les autres déshonorés sous leurs regards. Personne, juges, ne saurait reproduire fidèlement ce tableau ; il n’y a pas de paroles qui puissent égaler de si grands mal-. »