Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/240

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cuter le crime sans être découvert. Ajoutez qu’avant l’assassinat, il a été vu seul sur le lieu même qui en a été le théâtre ; à l’instant même du meurtre, la voix de la victime a été entendue ; le jour de cette scène tragique, il est prouvé qu’il est rentré dans sa maison bien avant dans la nuit ; le lendemain il a hésité, il s’est contredit en parlant de cette mort ; toutes ces circonstances résultent en partie des dépositions des témoins, en partie de la question et des preuves, et de la rumeur publique qui, appuyée de preuves, doit être l’expression de la vérité. C’est à vous, juges, de les réunir pour arriver à la certitude du crime, et non pas à des conjectures. Car le hasard peut faire tourner une ou deux circonstances contre l’accusé ; mais lorsqu’elles s’accordent toutes depuis la première jusqu’à la dernière, il est impossible que ce soit là l’ouvrage du hasard. » Cette figure a de la véhémence, et l’emploi en est presque toujours nécessaire dans les causes conjecturales ; on peut aussi s’en servir quelquefois dans les autres genres, et dans toutes sortes de discours.

XLII. L’Exposition, est une figure au moyen de laquelle on s’arrête sur la même pensée, tout en ayant l’air d’en exprimer de nouvelles. Elle se présente sous deux formes, suivant que l’on répète en effet la même chose, où que l’on parle de la même manière. On répète la même chose, non pas de la même manière (car ce serait fatiguer l’auditeur, et non pas polir le discours), mais avec des changements. Ces changements se font dans les expressions, ou dans le débit, ou dans le tour de la phrase. On change la pensée par l’expression, lorsqu’après avoir dit une chose, on la reproduit une ou plusieurs fois dans des termes équivalents ; par exemple : « Il n’est pas de si grand péril, auquel le sage ne consente à s’exposer pour le salut de la patrie. Toutes les fois qu’il s’agira d’assurer le salut de ses concitoyens, l’homme doué de nobles sentiments ne pensera pas à refuser le sacrifice de ses jours pour la fortune de l’État ; il persistera dans sa résolution de prouver son attachement à son pays, quelques dangers qui le menacent lui-même. » On changera la pensée par la prononciation, si, dans le ton simple, ou dans le ton véhément, ou dans toute autre modification de la voix et du geste, à mesure que l’on change l’expression de la pensée, on change aussi d’une façon très marquée le débit. Il n’est pas facile de tracer des règles à cet égard ; mais la chose se comprend bien, et n’a pas besoin d’exemples. La troisième espèce de changement consiste dans le tour de la phrase, à laquelle on peut donner la forme du dialogisme ou celle de l’interrogation.

XLIII. Le Dialogisme, dont nous parlerons tout à l’heure avec plus de détail, et qu’il suffit maintenant, pour notre objet, de faire connaître en peu de mots, est une figure qui introduit le raisonnement qu’a due se faire à elle-même la personne dont on parle. Pour la mieux faire comprendre, je reviendrai à l’exemple précédent : « Le sage qui croira devoir braver tous les dangers pour le bien de la république, se dira souvent à lui-même : « Ce n’est pas pour moi seul que je suis né, c’est bien plus encore pour ma patrie. Cette vie dont le destin disposerait, ne vaut-il pas mieux en faire le sacrifice à ma patrie ? Ma patrie m’a nourri, elle m’a fait vivre jusqu’à présent sous son honorable protection ; elle a ga-