Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/249

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chus a remarqué l’hésitation du peuple, qui craignait qu’ébranlé lui-même par le décret du sénat il ne renonçât à ses projets, il convoque une assemblée publique. À ce moment, un citoyen, rempli de pensées criminelles, s’élance du temple de Jupiter, et le visage en sueur, l’œil en feu, les cheveux hérissés, la toge relevée, se met à marcher plus vite avec ses complices. Un crieur demandait qu’on écoutât Gracchus : cet homme pressant du pied un des sièges, le brise, et ordonne aux autres d’en faire autant. Comme Gracchus commençait à implorer les dieux, ces furieux se précipitent sur lui ; de toutes parts on s’élance, et un homme du peuple s’écrie : Fuis, Tibérius, fuis. Ne vois-tu pas le sort qui t’attend ; regarde. Alors la multitude inconstante, saisie d’une terreur subite, prend la fuite. L’assassin, écumant de rage, ne respirant que le crime et la cruauté, raidit son bras ; et pendant que Gracchus doute encore, mais ne recule pas, il le frappe à la tempe. La victime, sans flétrir sa vertu par aucune plainte, tombe en silence. Le meurtrier, arrosé du sang infortuné de ce grand citoyen, promène ses regards autour de lui, comme s’il eût fait une belle action, présente gaiement sa main sacrilège à ceux qui le félicitent, et retourne au temple de Jupiter. » Cette figure est très utile dans les amplifications et dans les morceaux pathétiques, par ses narrations animées ; car elle place toute l’action en scène, et nous en donne, pour ainsi dire, le spectacle.

LVI. Je viens de recueillir avec soin, mon cher Hérennius, tous les conseils propres à perfectionner l’élocution. Si vous vous y exercez avec zèle, vous pourrez donner à vos discours de la force, de la noblesse et de la grâce ; vous parlerez en orateur, et vous ne revêtirez pas d’un langage vulgaire une invention sans fond et sans art. Il faudra maintenant nous surveiller l’un l’autre. Car il nous importe à tous deux d’atteindre à la perfection de l’art par une étude soutenue et des exercices fréquents. Beaucoup d’autres n’y parviennent pas, pour trois motifs principalement : c’est qu’ils n’ont personne avec qui il leur soit agréable de s’exercer, ou qu’ils se défient d’eux-mêmes, ou qu’ils ne savent quelle route prendre. Aucune de ces difficultés n’existe pour nous. Car cette communauté d’étude nous est agréable à cause de l’amitié que les liens du sang ont fait naître entre nous, et que le goût de la philosophie a fortifiée. Ensuite, nous ne manquons pas de confiance, ayant obtenu déjà quelques succès ; outre qu’il est d’autres objets plus élevés auxquels nous nous appliquons avec plus d’ardeur encore ; de sorte que, dussions-nous ne pas atteindre le point où nous aspirons, il nous manquerait peu de chose pour avoir une vie bien remplie. Enfin nous savons la route que nous devons suivre, puisque dans les quatre Livres que nous venons de voir nous n’avons omis aucun des préceptes de l’art oratoire. Nous avons fait voir, en effet, quelles sont les sources de l’invention dans tous les genres de causes ; nous avons dit comment il faut disposer les matériaux qu’elle a fournis ; montré les règles de la prononciation, les procédés de la mémoire, et expliqué tout ce qui peut rendre l’élocution parfaite. En nous conformant à ces principes, notre invention sera prompte et féconde, notre disposition lumineuse et régulière, notre prononciation à la fois forte et agréable, notre mé-