Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/292

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nous disons qu’on a fait ce qu’on ne devait pas faire, ou qu’on n’a pas fait ce qu’on devait faire ; par exemple : « Je n’étais pas près de lui, je ne l’ai pas vu, je n’ai point entendu ses dernières paroles, je n’ai point recueilli ses derniers soupirs. » Ou bien : « Il est mort entre les mains des barbares, il est étendu sans sépulture sur une terre ennemie ; longtemps exposé à la voracité des bêtes sauvages, il a été privé des honneurs de la sépulture, honneurs qu’on ne refuse à personne. » Le neuvième s’adresse à des choses muettes ou inanimées, à un cheval, une maison, un vêtement ; artifice qui touche profondément l’auditeur, en lui rappelant des souvenirs attendrissants. Le dixième expose notre pauvreté, notre faiblesse, notre isolement. Dans le onzième, on recommande à la bienveillance publique ses parents, ses enfants, le soin de sa sépulture, ou quelque chose de semblable. Dans le douzième, on se plaint d’être privé d’une personne avec qui on aimait à vivre, d’un père, d’un fils, d’un frère, d’un ami. Dans le treizième, on mêle l’indignation à la plainte, en rappelant que nous éprouvons ces cruels traitements de ceux dont nous devrions le moins les attendre ; par exemple, de la part de nos proches, de nos amis, de ceux que nous avons obligés, ou dont nous attendions du secours ; de ceux enfin pour qui c’est le plus noir des crimes, d’un esclave, d’un affranchi, d’un client ou d’un suppliant.

Le quatorzième lieu emploie l’obsécration : par des prières, par un langage humble et soumis, nous implorons la pitié des auditeurs. Dans le quinzième, nous prouvons que nous nous plaignons moins de notre infortune que de celle des personnes qui nous sont chères. Dans le seizième, nous nous montrons sensibles pour les autres, mais supérieurs à tous les malheurs qui fondent sur nous ; notre cœur est et sera inaccessible à l’abattement, à la faiblesse ; et cette fermeté ne se démentira jamais : car souvent le courage et la grandeur d’âme, qui s’expriment avec noblesse et dignité, savent mieux nous attendrir que l’humiliation et les prières. Mais les esprits une fois émus, gardez-vous d’être prolixe dans vos plaintes ; car, comme l’a dit le rhéteur Apollonius, rien ne sèche plus vile que les larmes.

Mais comme nous avons, à ce qu’il nous semble, assez développé toutes les parties oratoires, et que ce Livre nous parait assez long, il convient de renvoyer au Livre second la suite de nos préceptes.


LIVRE SECOND.

I. Crotone, célèbre par son opulence, et regardée comme une des plus heureuses villes d’Italie, voulut jadis orner de peintures excellentes le temple de Junon, sa divinité tutélaire. On fit venir à grands frais Zeuxis d’Héraclée, regardé comme le premier peintre de son siècle. Après avoir peint plusieurs tableaux, dont le respect des peuples pour ce temple a conservé une partie jusqu’à nos jours, l’artiste, pour donner dans un tableau le modèle d’une beauté parfaite, résolut de faire le portrait d’Hélène. Ce projet flatta les Crotoniates qui avaient entendu vanter le talent