Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/302

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enfin la nécessité, qui montre si le fait ou les suites étaient inévitables. Presque tout ceci peut se rapporter à l’intention que nous attribuons aux personnes, comme dans la cause que nous avons établie. Cet abord familier dans la route, la conversation engagée, le choix de la même auberge, le souper commun, voilà pour les antécédents ; la nuit et le sommeil, voilà pour le fait. Le départ de l’accusé, seul, et sans compagnon de voyage ; son indifférence envers un homme avec qui il voyageait comme avec son ami, son épée ensanglantée, voilà pour les suites.

La plupart de ces détails appartiennent à l’intention. On examine si l’accusé avait étudié avec soin et préparé toutes ses démarches, ou s’il a agi avec assez d’imprudence pour qu’on ne puisse rien soupçonner de criminel dans sa conduite. C’est alors que l’on considère s’il ne pouvait point trouver quelque voie plus commode, si ce n’est point l’ouvrage du hasard. Car là où l’argent,les secours et les complices ont manqué, il ne paraît pas qu’il y ait eu faculté d’agir. C’est ici qu’avec un peu d’attention, on verra se réunir les lieux relatifs aux choses et les lieux relatifs aux personnes.

Il serait aussi difficile que superflu de tracer ici, comme nous l’avons fait plus haut, à l’accusateur et au défenseur, la marche que chacun doit suivre. Superflu : la question une fois posée, on verra facilement tout ce qui lui convient, si, en ne croyant pas trouver ici tous les cas prévus et développés, on met un peu d’intelligence et de soin à comparer sa cause avec les exemples donnés. Difficile : en effet, ou n aurait jamais fini de développer le pour et le contre sur chacun de ces nombreux sujets, qui se modifient suivant les circonstances. Il faut donc s’attacher à l’examen des points dont nous avons parlé.

XIV. Pour rendre l’invention plus facile, revenez souvent et avec soin sur la narration de votre adversaire et sur la vôtre, et en formant toutes les conjectures dont chaque point est susceptible, examinez pourquoi, dans quelle intention, avec quel espoir de réussite l’action a été commise ; pourquoi de telle manière plutôt que de telle autre ; pourquoi par celui-ci plutôt que par celui-là ; pourquoi sans complices, ou avec tel complice ; pourquoi avec ou sans confidents, ou précisément avec ceux-là ; pourquoi a-t-on ou n’a-t-on pas fait telle chose avant l’action ; pourquoi celle-ci pendant l’action même ; pourquoi celle-là après ; ce qu’on a fait à dessein, ou ce qui était une suite naturelle de l’action ; si le discours est d’accord avec le fait ou conséquent en soi, si tel signe indique plutôt ceci que cela, ou l’un et l’autre, ou lequel des deux ; ce qu’on a fait d’inutile, ce qu’on n’a pas fait de nécessaire.

Après cet examen rigoureux de toutes les parties du fait, on déploiera les lieux communs dont nous avons parlé, et qu’on tenait en réserve. Tantôt séparés, tantôt réunis, ils fourniront des arguments solides, dont les uns établiront la probabilité ; les autres, la nécessité du fait. Souvent les tortures, les témoins, les bruits publics fortifient les conjectures ; et chacune des deux parties doit, par les mêmes moyens, tâcher de les faire tourner à