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VIE DE CICÉRON.

ble ni avec leurs maris ; et c’étaient tous les jours de violentes querelles, dont il était tantôt le pacificateur, et tantôt le sujet.

On rapporte à cette époque de sa vie la composition d’un poëme Sur ses malheurs, et d’un autre dont César était le héros. Il avoue, en parlant du dernier, qu’il a quelque honte d’avoir sitôt changé de langage. « Mais, dit-il, tous ces grands sentiments de fermeté politique, ces maximes rigides, cette probité austère, ne sont plus de saison. C’est trop souffrir des envieux ; et puisqu’ils ne veulent point de nous, cherchons ailleurs des amitiés plus solides et des protections plus puissantes. »

C’est aussi dans le cours de cette année qu’il écrivit à Luccéius, déjà connu par l’histoire de la guerre Italique et des guerres de Marius, cette lettre fameuse, souvent citée comme un témoignage de sa vanité et de sa passion pour la louange, et où il le presse d’entreprendre l’histoire de sa vie. Luccéius se rendit à ses vœux ; mais il ne reste rien de cet ouvrage, ni des Mémoires que Cicéron lui avait envoyés.

Cicéron fut rappelé au barreau par deux causes importantes. On contestait à Corn. Balbus, originaire d’Espagne, et ami de César le titre de citoyen que lui avait accordé Pompée. Cicéron le lui fit rendre.

M. Célius était cité en justice sous l’accusation de six crimes différents, mais surtout d’empoisonnement sur Clodia, sœur du fameux Clodius ; crimes imaginés par la haine de ses ennemis, et dont le dernier l’avait été par le ressentiment jaloux de Clodia, naguère sa maîtresse. L’éloquence de Cicéron le fit acquitter sur tous les points ; et Célius lia depuis avec lui un commerce de lettres, dont une partie se lit encore dans le recueil de celles de Cicéron.

Un parti puissant dans le sénat voulut retirer les Gaules à César. Cicéron prit en main sa défense, amena l’assemblée à son avis, et fit, du même coup, rappeler de leurs gouvernements Gabinius et Pison, ses ennemis. Pison, de retour à Rome, attaqua sur-le-champ Cicéron, qui le foudroya par une réplique dont l’amertume et la véhémence rappellent les Verrines.

Crassus et Pompée, d’accord avec César, s’emparèrent violemment du consulat (698) ; et une fois maîtres du pouvoir, se firent donner toutes les provinces qui leur convenaient. Pompée fit administrer les siennes par ses lieutenants ; et Crassus, attiré en Syrie par l’appât des richesses, s’y rendit, après s’être publiquement réconcilié avec Cicéron, longtemps son ennemi.

Cependant Cicéron, qui ne pouvait approuver ces usurpations, et avait perdu le droit de les condamner, s’était retiré près de Baïes, dans une de ses maisons de campagne. Sa correspondance à cette époque nous révèle toute l’agitation de son âme. « Vous, écrivait-il à Atticus, vous n’avez pris aucun engagement, et le joug que vous portez vous est commun avec tous les citoyens ; mais moi, dont le zèle pour le bien de l’État est traité de folie ; les moindres ménagements, de servitude honteuse ; et le silence même, de lâcheté et de trahison : quelle doit être ma douleur ! Encore, si je pouvais me retirer et jouir de la paix ; mais je n’en suis plus le maître, et il faut me résoudre à être subalterne, moi qui me suis vu autrefois le chef de l’État ! » Pompée alla le trouver dans sa solitude, et eut avec lui de longs entretiens ; mais Cicéron laisse entrevoir dans ses lettres qu’il doutait de sa sincérité.

César l’emportait maintenant sur Pompée dans l’amitié de Cicéron ; et il s’était établi entre eux une correspondance très-suivie. Le proconsul le tenait au courant de ses moindres succès dans les Gaules ; il lui écrivait même du champ de bataille, avant ou après ses victoires. Il avait emmené, comme lieutenant, son frère Quintus, et lui marquait une affection que Cicéron rapportait à lui-même. Il se plaignait de ce que Cicéron ne lui donnait pas assez souvent l’occasion de l’obliger dans la personne de ses amis, comblait de distinctions et de faveurs ceux qu’il lui envoyait de Rome, et lui écrivait, au sujet d’un de ses protégés : « Je le ferai roi de la Gaule. »

Cicéron, de son côté, composa sur la guerre des Gaules un poème, aujourd’hui perdu, où l’on doit croire que César n’était pas loué médiocrement. Quintus en entreprit un sur l’expédition de Bretagne, à la persuasion de son frère, qui refusa toutefois de l’aider, mais par la seule raison que Quintus, qui avait fait quatre tragédies en seize jours, n’avait besoin de la coopération de personne. Cicéron envoya aussi à César un poëme grec en trois chants, sur les événements de son consulat. La première partie en fut trouvée admirable par le vainqueur des Gaules.

Il composa aussi à cette époque les trois dialogues de l’Orateur, et un Traité du Droit civil ; ouvrages dont le premier est seul parvenu jusqu’à nous. Jamais pourtant ses travaux d’avocat n’avaient dû lui laisser moins de loisirs. Outre ses clients de Rome, il avait sous sa protection des provinces, des colonies, des villes, qui réclamaient continuellement le secours de son éloquence ou de ses conseils. C’est ainsi qu’il défendit dans le sénat la liberté des Ténédiens, et celle des habitants de Réate, devant dix commissaires choisis pour juges. À cette année se rapporte aussi la défense de Cn. Plancius, qui l’avait si généreusement accueilli en Macédoine pendant son exil. Gabinius était revenu à Rome sous le coup de trois accusations. Libre de tout engagement, Cicéron se fut porté son accusateur : il avait même déjà prononcé contre lui un discours dans le sénat.