Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/533

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Crassus eut la réputation d’un très bon orateur. À beaucoup de talent naturel, il joignait beaucoup d’étude, et il trouva dans sa propre maison des leçons et des modèles. Allié du fameux orateur Serv. Galba, dont le fils avait épousé sa fille, et de plus, fils de P. Mucius et frère de P. Scévola, il acquit, sans sortir de chez lui, la connaissance du droit civil. Ses succès répondirent à son activité infatigable, et il était sans cesse occupé à plaider, ou à donner des consultations. Aux noms qui brillaient alors, il faut ajouter les deux C. Fannius, fils de Caïus et de Marcus. Le premier, qui fut consul avec Domitius, a laissé un discours contre Gracchus, au sujet des alliés et du nom Latin. Cet ouvrage est célèbre, et de plus, il est bon. — Quoi donc ! dit Atticus, ce discours est-il bien de Fannius ? Dans notre enfance, les opinions étaient très partagées. Les uns l’attribuaient à Persius, homme lettré, et à la science duquel Lucilius rend un bel hommage ; les autres, à plusieurs nobles, dont chacun, disait-on, avait mis en commun le tribut de son génie. — C’est, en effet, répondis-je, ce que j’ai entendu dire à nos vieillards, mais je n’ai jamais pu le croire ; et si l’on a élevé ce doute, c’est, je pense, parce que Fannius était regardé comme un orateur médiocre, tandis que cette harangue était la meilleure qui existât alors. Elle n’a d’ailleurs rien qui annonce le travail de plusieurs mains ; c’est partout la même couleur, le même style ; et d’un autre côté, si elle était de Persius, Gracchus n’aurait pas manqué de le reprocher à son adversaire, qui lui reprochait à lui-même d’employer les talents de Ménélas de Marathum, et des autres rhéteurs. Enfin, l’on n’a jamais refusé à Fannius le don de la parole. Il défendit souvent des causes ; et son tribunat, dirigé par les conseils de Scipion l’Africain, ne fut pas sans gloire.

L’autre Fannius, fils de Marcus, gendre de Lélius, était plus austère dans son langage, aussi bien que dans ses mœurs. A l’imitation de son beau-père, il avait entendu les leçons de Panétius. Ce n’est pas qu’il aimât beaucoup celui dont il suivait l’exemple : Lélius ne l’avait point admis au collége des augures ; il lui avait même préféré son autre gendre Scévola, quoique plus jeune : choix dont Lélius s’excusait en disant qu’il n’avait pas donné cette préférence au plus jeune de ses gendres, mais à l’aînée de ses filles. On peut juger du talent oratoire de Fannius par l’histoire assez élégamment écrite qui nous reste de lui. Sous le rapport de l’éloquence, elle n’est ni tout à fait médiocre, ni parfaitement belle. Quant à l’augure Scévola, s’il avait à plaider pour lui-même, il n’empruntait pas une voix étrangère. C’est ainsi qu’il se défendit contre Albucius qui l’accusait de concussion. Il n’a point de rang parmi les orateurs : sa profonde connaissance du droit civil, et ses lumières en tout genre lui assurent le premier parmi les savants. Célius Antipater est, comme vous savez, un bon écrivain pour ce temps-là. Ce fut un habile jurisconsulte, et il eut beaucoup de disciples, entre autres L. Crassus.

XXVII. Plût aux dieux que Tib. Gracchus et Carbon eussent eu en politique la volonté de bien faire, autant qu’ils avaient le talent de bien dire !