Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/543

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définition ce qui est caché, à éclaircir par l’interprétation ce qui est obscur, à voir les équivoques, et à les résoudre par d’habiles distinctions, à posséder enfin une règle certaine, pour juger le vrai et le faux, et pour savoir si une conséquence est bien ou mal déduite de son principe. Il a porté le flambeau de cet art qui éclaire tous les autres, sur des matières où ses devanciers, soit en plaidant, soit en répondant sur le droit, marchaient environnés de ténèbres.

XLII — Vous parlez sans doute de la dialectique, dit Brutus. — Assurément, répondis-je. Mais Sulpicius y a joint la connaissance de la littérature, et une élégance de style dont on peut juger par ses écrits, auxquels je ne vois rien qui soit comparable. Il a eu pour maîtres deux hommes très habiles, L. Lucilius Balbus et C. Aquillins Gallus, et plus habile que tous deux, il a surpassé, par la justesse et la sagacité de son esprit, cette facilité vive et rapide que portait dans les consultations et la plaidoirie le génie exercé et pénétrant de Gallus ; et par sa promptitude à résoudre les difficultés et à terminer les affaires, il a laissé loin de lui la lenteur circonspecte que le savant et profond Balbus faisait paraître au forum et dans le cabinet. Ainsi, aux qualités qui lui sont communes avec ses deux modèles, il a joint, comme un heureux supplément, celles qui leur manquaient. Crassus me parait avoir agi plus sagement que Scévola : car celui-ci aimait à plaider, quoiqu’il fût, dans ce genre, inférieur à Crassus ; et Crassus ne voulait pas donner de consultations, afin de n’être en rien inférieur à Scévola. Mais Sulpicius est certainement le plus sage des trois : car des deux arts qui, dans la carrière civile, mènent le plus sûrement à la gloire et à la considération, il a su dans l’un s’élever au-dessus de tous ses rivaux, et il a cultivé l’autre autant qu’Il fallait pour en faire un auxiliaire de la jurisprudence, et soutenir avec honneur la dignité d’homme consulaire.

— C’est aussi ce que je pensais déjà, dit Brutus ; car étant dernièrement à Samos, je l’ai entendu souvent, et avec le plus curieux intérêt, développer les principes de notre droit pontifical dans ses rapports avec le droit civil. Maintenant, confirmée par votre témoignage et votre jugement, mon opinion n’en est que mieux affermie. Et en même temps je remarque avec joie que, ni l’égalité que mettent entre vous et l’âge et les honneurs, ni la culture de deux arts dont les domaines se touchent de si près, ne donnent lieu à ces jalousies qui arment l’un contre l’autre tant de rivaux, et que loin d’altérer votre mutuelle bienveillance, elles semblent au contraire en resserrer les nœuds. Car l’estime et l’affection dont je vous vois animé pour lui, il les ressent pour vous, j’en fus plus d’une fois témoin : aussi je m’afflige que le peuple romain soit privé depuis si longtemps et de ses lumières et de votre éloquence, et ma juste douleur s’accroît encore en songeant en quelles mains, je ne dis pas ont été remises, mais sont tombées, par une malheureuse fatalité, vos nobles fonctions. — J’avais dit en commençant, interrompit Atticus, qu’il ne devait pas être question des affaires publiques. Gardons le silence que nous nous sommes promis ; aussi bien, si nous nous mettons ainsi à déplorer tous nos maux l’un après l’autre, nos regrets ou plutôt nos gémissements n’auront jamais de fin.

XLIII. — Continuons donc, repris-je alors, et suivons l’entretien que nous avons commencé.