Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/563

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loisir où nous condamne tous une fatalité malheureuse, il sait se consoler par le témoignage d’une conscience sans reproche, et goûter, en revenant sur ses études passées, de nobles jouissances. J’ai vu dernièrement cet homme à Mitylène ; oui, cet homme ; il est vraiment digne de ce nom. Je le dirai donc : si avant cette époque il me paraissait vous ressembler déjà par son éloquence, riche alors des trésors de science nouvellement puisés dans les leçons d’un grand philosophe qui est aussi, je le sais, votre grand ami, le savant Gratippe, combien sa ressemblance avec vous n’était-elle pas encore plus parfaite à mes yeux ! — Sans doute, dis-je à mon tour, les louanges d’un homme si vertueux, et qui nous est si cher, sont agréables à mon oreille ; cependant elles me rappellent au sentiment des malheurs publics ; et c’était pour les oublier que je prolongeais si longtemps cet entretien. Mais venons à César ; je désire savoir quel est sur lui le jugement d’Atticus.

LXXII. — Vous persistez admirablement, dit Brutus, dans la résolution de ne rien dire vous-même des orateurs vivants. Il est vrai que si vous en parliez comme de ceux qui ne sont plus, c’est-à-dire, sans en omettre aucun, vous trouveriez sur votre chemin bien des Stalénus et des Autronius. Soit donc que vous n’ayez pas voulu vous jeter au milieu de cette foule, ou que vous ayez craint les reproches de ceux que vous auriez pu omettre ou ne pas louer à souhait, vous pouviez cependant nous parler de César, d’autant plus que votre opinion sur son talent est très connue, et que son jugement sur le vôtre n’est pas équivoque. — Alors Atticus prenant la parole : Quoi qu’il en soit, dit-il, mon cher Brutus, voici ce que je pense de César et ce que j’en ai souvent entendu dire à Cicéron lui-même, si habile juge en cette matière. César est peut-être de tous nos orateurs celui qui parle la langue latine avec le plus d’élégance : et il ne doit pas seulement cet avantage, comme on nous le disait tout à l’heure des Lélius et des Mucius, aux impressions reçues dans la maison paternelle. Sans doute elles ont commencé l’ouvrage ; mais il n’est arrivé à cette admirable perfection que par des études variées et profondes, suivies avec une grande ardeur et un travail infatigable. Eh ! ne l’avez-vous pas vu, ajouta-t-il en me regardant, vous adresser, au temps de ses plus grandes occupations, un savant traité sur la langue latine, dans le premier Livre duquel il dit que le choix des mots est la base de l’éloquence ? Oui, Brutus, après un tel ouvrage, et l’éloge flatteur qu’y donne à Cicéron cet homme dont Cicéron aime mieux m’entendre parler que d’en parler lui-même : Quelques-uns, lui dit-il en l’appelant par son nom, quelques-uns ont essayé, à force d’usage et d’application, de produire leurs pensées sous des formes brillantes ; mais vous avez le premier découvert toutes les richesses de l’élocution, et à ce titre, vous avez bien mérité du nom romain et honoré la patrie ; je le répète, après un tel ouvrage, observer que César excelle dans le langage simple et familier de la conversation, est une chose désormais inutile.

LXXIII. — Certes, dit Brutus, l’amitié ne peut trouver un plus bel éloge. « Vous avez découvert. le premier toutes les richesses de l’élocution ; » et c’est peu de cette louange magnifique : « Vous avez bien mérité du nom romain et honoré la patrie ! » En effet, le seul avantage que la Grèce