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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/254

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la vie, puisqu'il conserve de cette même armée tous ceux qu'il peut sauver. Quant à l'autre parti, je ne dirai que ce que nous craignions tous : la vengeance aurait ensanglanté la victoire. On menaçait et ceux qui s'étaient armés, et ceux même qui étaient restés neutres ; on disait qu'il fallait examiner, non ce que chacun avait pensé, mais en quels lieux il s'était trouvé. D'où je crois pouvoir conclure que, si les dieux ont voulu punir le peuple romain en suscitant une guerre civile si funeste et si désastreuse, ces dieux sont apaisés, ou qu'ils sont enfin rassasiés de nos malheurs, puisqu'ils ont remis le soin de notre salut à la sagesse et à la clémence du vainqueur.

Applaudissez-vous donc, César, d'un si précieux avantage ; jouissez de votre bonheur, de votre gloire, et surtout de la bonté de votre caractère : il n'est pas pour le sage de récompense plus douce, ni de jouissance plus délicieuse. Quand vous vous rappellerez vos actions guerrières, vous aurez à vous féliciter souvent de votre valeur, mais plus souvent encore de votre heureuse fortune : toutes les fois que vous penserez à tant de citoyens qu'il vous a plu de conserver avec vous dans la république, ce souvenir vous retracera sans cesse vos inappréciables bienfaits, votre générosité incroyable, votre sagesse supérieure : ce sont là les plus grands biens, j'ose dire les seuls biens de l'homme. Tel est, en effet, l'éclat de la vraie gloire, telle est la majesté de la grandeur d'âme et de la noblesse des sentiments, qu'elles seules paraissent être un don de la vertu ; le reste n'est qu'un prêt de la fortune.

Ainsi ne vous lassez pas de conserver des hommes vertueux, persuadé qu'ils ont failli, non pas entraînés par l'ambition ou par quelque autre passion coupable, mais séduits par une apparence de bien public, par une idée de devoir, mal entendue sans doute, mais qui du moins n'avait rien de criminel. Si quelques-uns ont conçu des craintes, la faute ne peut vous en être imputée : mais que le plus grand nombre, au contraire, ait pensé n'avoir rien à craindre de vous, c'est là votre plus grande gloire.

VII. Je passe maintenant à ces plaintes amères, à ces horribles soupçons qui doivent exciter vos sollicitudes et celles de tous les citoyens, de nous surtout qui vous devons la vie. Je les crois peu fondés, mais je me garderai de les affaiblir ; car, en veillant à vos jours, vous assurerez les nôtres, et, s'il faut pécher par quelque excès, j'aime mieux être trop timide que de n'être pas assez prudent. Toutefois quel furieux voudrait... ? Un des vôtres ? Eh ! quels hommes ont mieux mérité ce nom, que ceux à qui vous avez rendu la vie qu'ils n'osaient espérer ? Serait-ce quelqu'un de ceux qui ont suivi vos drapeaux ? Un tel excès de démence n'est pas croyable. Pourraient-ils balancer à se sacrifier eux-mêmes pour un chef dont les bienfaits ont comblé tous leurs vœux ? Mais ne faut-il pas du moins vous prémunir contre vos ennemis ? Eh ! quels sont-ils ? Tous ceux qui le furent ont perdu la vie par leur opiniâtreté, ou l'ont conservée par votre clémence. Vos ennemis ne sont plus, ou, si quelques-uns ont survécu, ils sont devenus vos amis les plus fidèles.

Cependant, comme il y a dans le cœur humain tant de replis secrets et de détours cachés, par là nous redoublerons