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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/499

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DES VRAIS BIENS ET DES VRAIS MAUX, LIV. I.

ceux qui ne sont pas de son sentiment ; mais au moins pourquoi vous n’approuvez pas un homme, le seul selon moi qui ait connu la vérité ; un homme qui a délivré nos esprits des plus graves erreurs, et nous a donné tous les préceptes nécessaires pour pouvoir vivre sages et heureux. Pour moi, j’imagine que ce qui fait que vous ne le goûtez pas, vous et Triarius, c’est qu’il a négligé ces ornements du discours, si familiers à Platon, Aristote et Théophraste ; car d’ailleurs je ne saurais me persuader que vous ne soyez pas de son sentiment. Voyez, lui répondis-je, combien vous vous trompez, Torquatus. Le style de ce philosophe ne me choque point ; il dit ce qu’il veut dire, et il le fait fort bien entendre. Je ne suis pas fâché de trouver de l’éloquence dans un philosophe, mais ce n’est pas ce que j’y cherche. C’est uniquement sur les choses mêmes qu’Épicure ne me satisfait pas en plusieurs endroits. Mais, autant de têtes, autant d’opinions, et je puis bien me tromper. En quoi donc ne vous satisfait-il pas, reprit-il ? Car, pourvu que vous ayez bien compris ce qu’il dit, je ne doute point que vous ne soyez un juge très-équitable. À moins que vous ne pensiez, lui répondis-je, que Phèdre et Zénon m’en ont imposé (car je les ai entendus tous deux et n’ai pu approuver en eux que leur zèle), vous devez croire que je possède assez bien la doctrine d’Épicure. Je les ai même entendus souvent avec mon cher Atticus qui les admirait tous deux et qui aimait particulièrement Phèdre ; tous les jours nous nous entretenions sur ce que nous avions entendu, et jamais nous n’avions de dispute sur le sens des paroles, mais sur le fond même des opinions.

VI. Encore une fois, ajouta-t-il, sur quoi Épicure ne vous contente-t-il pas ? En premier lieu, lui répondis-je, il n’entend rien à la physique dans laquelle il se vante d’exceller. Il fait quelques changements et ajoute quelques traits au système de Démocrite, mais il me semble fort qu’il n’y touche que pour le gâter. Les atomes, selon lui (car c’est ainsi qu’il appelle de petits corpuscules indivisibles à cause de leur solidité), sont incessamment portés de telle sorte dans le vide infini, ou il ne peut y avoir ni haut, ni bas, ni milieu, ni commencement, ni fin, que venant à s’attacher ensemble par leur concours, ils forment tout ce qui existe et ce que nous voyons. Il veut aussi que leur mouvement ne leur ait été imprimé par aucun principe étranger, mais qu’il leur ait été propre de toute éternité. Épicure se trompe moins dans les endroits où il suit Démocrite. Parmi tous les reproches que je puis adresser à leur commune doctrine, il en est un d’une extrême importance ; c’est que tandis qu’il y a dans la nature deux principes à considérer, la matière dont tout est fait, et la force qui donne la forme à chaque chose, ils n’ont parlé que de la matière, et n’ont pas dit un mot de la force et de la cause efficace. Voici en quoi ils ont manqué l’un et l’autre, mais voici ou Épicure a failli particulièrement. Il prétend que les atomes se portent d’eux-mêmes directement en bas, et que c’est là le mouvement naturel de tous les corps. Ensuite venant à songer que si tous les atomes se portaient toujours en bas et en ligne directe, il n’arriverait jamais qu’un atome put toucher l’autre, notre habile homme se met en frais d’une proposition tout à fait chimérique et nous parle