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TUSCULANES, LIV. I.

tent. Ainsi vous retombez toujours dans le même inconvénient ; et quelque tour que vous preniez pour dire, Crassus qui n’est plus, est misérable, vous joindrez ensemble deux choses incompatibles, parce que l’un des termes, est, affirme ce que nie l’autre, qui n’est plus. L’a. Hé bien, puisque vous me forcez d’avouer que ceux-là ne sont pas misérables, qui ne sont point du tout, je reconnais que les morts ne sont pas misérables. Mais pour nous qui vivons, n’est-ce pas un mal que la nécessité de mourir ? Quel plaisir est-on capable de goûter, lorsqu’on a jour et nuit à penser que la mort approche ?

VIII. C. Remarquez-vous que voilà de retranché déjà une bonne partie de la misère humaine ? L’a. Voyons comment. G. Parce que si la mort avait des suites fâcheuses, rien ne bornerait nos maux ; ils seraient infinis, ftlais de la manière dont nous l’entendons présentement, je vois qu’il y a un terme où j’arriverai, et au delà duquel je n’aurai plus à craindre. Vous entrez, à ce qu’il me paraît, dans la pensée d’Épicharme, qui était, comme la plupart des Siciliens, homme de beaucoup d’esprit. L’a. Que dit-il ? Je n’en sais rien. C. Je vous le rendrai, si je puis, en latin ; car vous savez que ma coutume n’est pas de mettre du grec dans mon latin, non plus que du latin dans mon grec. L’a. Vous avez raison : mais cette pensée d’Épicharme, dites-la moi. C.

Mourir peut être un mal : mais être mort n’est rien.

L’a. Je me remets à présent le vers grec. Mais après m’avoir fait avouer que les morts ne sont pas misérables, prouvez-moi, s’il vous est possible, que la nécessité de mourir ne soit pas un mal. Très-aisément, et j’ai encore de plus grands projets. L’a. Très-aisément, dites-vous ? C. Oui, parce que la mort n’étant suivie d’aucun mal, la mort elle-même n’en est pas un : car vous convenez que dans le moment précis, qui lui succède immédiatement, il n’y a plus rien à craindre : et par conséquent mourir n’est autre chose que parvenir au terme, où, de votre aveu, finissent tous nos maux. L’a. Je vous en prie, mettez ceci dans un plus grand jour. Avec des raisonnements trop serres on me fait dire oui, avant que je sois persuadé. Mais quels sont ces grands projets, dont vous me parliez ? C. Je veux essayer de vous convaincre, non-seulement que la mort n’est point un mal ; mais que même c’est un bien. L’a. Je n’en demandais pas tant. Je meurs d’envie cependant de voir comment vous le prouverez. Si vous n’en venez pas à bout, du moins il en résultera que la mort n’est point un mal. Au reste, je ne vous interromprai point. Un discours suivi me fera plus de plaisir. C. Et si j’ai à vous interroger, ne me répondrez-vous pas ? L’a. Il y aurait une sotte fierté à ne pas répondre : mais, autant qu’il se pourra, passez-vous de me faire des questions.

IX. Vous serez obéi. Je vais débrouiller cette matière tout de mon mieux. Mais en m’écoutant, ne croyez pus entendre Apollon sur son trépied, et ne prenez pas ce que je vous dirai pour des dogmes indubitables. Je ne suis qu’un homme ordinaire, je cherche à découvrir la vraisemblance ; mes lumières ne sauraient aller plus loin. Pour le vrai et l’évident, je le laisse à ceux qui présument qu’il est à la portée de leur intelligence, et qui se