Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
640
CICÉRON.

ils meurent avec volupté, et tout en chantant. Ainsi doivent faire, ajoutait Socrate, tous les hommes savants et vertueux. Personne n’y trouverait la moindre difficulté, s’il ne nous arrivait, quand nous voulons trop approfondir la nature de l’âme, ce qui arrive quand on regarde trop fixement le soleil couchant. On en vient à ne voir plus. Et de même, quand notre âme se regarde, son Intelligence vient quelquefois à s’émousser ; en sorte que nos pensées se brouillent. On ne sait plus à quoi se fixer, on retombe d’un doute dans un autre, et nos raisonnements ont aussi peu de consistance, qu’un navire battu par les flots. » Mais ce que je dis là de Socrate, est ancien, et tiré des Grecs. Parmi nous, Caton est mort dans une telle situation d’esprit, que c’était pour lui une joie d’avoir trouvé l’occasion de quitter la vie. Car on ne doit point la quitter sans l’ordre exprès de ce Dieu, qui a sur nous un pouvoir souverain. Mais, quand lui-même il nous en fait naître un juste sujet, comme autrefois à Socrate, comme à Caton, et souvent à bien d’autres, un homme sage doit, en vérité, sortir bien content de ces ténèbres, pour gagner le séjour de la lumière. Il ne brisera pas les chaînes qui le captivent sur la terre ; car les lois s’y opposent ; mais lorsqu’un Dieu l’appellera, c’est comme si le magistrat, ou quelque autre puissance légitime, lui ouvrait les portes d’une prison. Toute la vie des philosophes, dit encore Socrate, est une continuelle méditation de la mort.

XXXI. Car enfin, que faisons-nous, en nous éloignant des voluptés sensuelles, de tout emploi public, de toute sorte d’embarras, et même du soin de nos affaires domestiques, qui ont pour objet l’entretien de notre corps ? Que faisons-nous, dis-je, autre chose que rappeler notre esprit à lui-même, que le forcer à être à lui-même, et qie l’éloigner de son corps, tout autant que cela.se peut’/ Or, détacher l’esprit du corps, n’est-ce pas apprendre à mourir ? Pensons-y donc sérieusement, croyez-moi, séparons-nous ainsi de nos corps, accoutumons-nous à mourir. Par ce moyen, et notre vie tiendra déjà d’une vie céleste, et nous en serons mieux disposés à prendre notre essor, quand nos chaînes se briseront. Mais les âmes qui auront toujours été sous le joug des sens, auront peine à s’élever de dessus la terre, lors même qu’elles seront hors de leurs entraves. Il en sera d’elles comme de ces prisonniers, qui ont été plusieurs années dans les fers ; ce n’est pas sans peine qu’ils marchent. Pour nous, arrivés un jour à notre terme, nous vivrons enfin. Car notre vie d’à-présent, c’est une mort : et si j’en voulais déplorer la misère, il ne me serait que trop aisé. L’a. Vous l’avez déplorée assez dans votre Consolation. Je ne lis point cet ouvrage, que je n’aie envie de me voir a la fin de mes jours : et cette envie, par tout ce que je viens d’entendre, augmente fort. C. Vos jours finiront, et de force, ou de gré, finiront bien vite, car le temps vole. Or, non-seulement la mort n’est point un mal, comme d’abord vous le pensiez : mais peut-être n’y a-t-il que des maux pour l’homme, à la mort près, qui est son unique bien, puisqu’elle doit ou nous rendre Dieux nous-mêmes, ou nous faire vivre avec les Dieux. L’a. Qu’importe lequel ? Car il y a des gens qui n’admettent ni l’un ni l’autre. C. Vous ne m’échap-